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l’opposition, cher aux catholiques par son dévouement aux intérêts religieux, il devint vite un de ces hommes, dont les avis influent sur les résolutions d’une Assemblée. Il eut une part capitale à tous les actes par lesquels le parti libéral dynastique signala son existence, puis ses progrès. Il m’aida fort à mener à bien l’amendement des 45, puis celui des 116. Il avait à un haut degré les qualités d’un homme d’Etat : dans la préparation, fin, patient, souple, conciliant, abondant en ressources ; dans l’exécution, ferme, rapide, actif, intraitable, d’une intrépidité qu’aucun obstacle n’étonnait. Il savait brusquer les hommes et les caresser, les écouter et leur résister, les servir et s’en servir. Les péripéties les plus imprévues ne le déconcertaient pas. Aussi lucidement imperturbable les jours de malchance, que les jours de fortune heureuse, même quand il marchait où il fallait arriver vite, il ne paraissait pas pressé. Il aimait à s’appesantir sur les détails, à s’étendre en minutieux développemens ; mais, dans ses digressions, il ne perdait point de vue l’objet principal, et lorsqu’on l’en supposait le plus éloigné, il y revenait par une conclusion nette et pratique. Plus d’une fois, ayant saisi dès les premiers mots ce qu’il allait développer, je l’interrompais : « Marchez ! concluez ! » Il hochait alors sa tête lorraine en pensant : « Ces hommes du Midi sont bien impatiens ! ’ » Et il concluait toutefois sans trop abréger. Les lourdes responsabilités ne le rendaient pas morose ; d’humeur toujours gaie, prompt à faire une malice, à lancer un propos piquant, à gloser sur son prochain, à fureter, à deviner ce qu’on lui cachait, mais dès qu’on lui avait témoigné de la confiance et qu’on s’était mis d’accord avec lui, il était très sûr, et quand il avait dit : Je ferai, c’était fait. Travailleur infatigable, il avait à la tribune l’habitude de l’improvisation familière et l’aptitude à expliquer toute question avec autant de clarté qu’il la concevait lui-même. De tous mes collègues, c’est celui avec lequel j’ai vécu dans la plus constante et intime communauté de pensées, de résolutions, sans l’avis de qui je n’ai rien arrêté et qui, sans le mien, n’a rien entrepris ; celui qui ne me mesura jamais son concours ; le compagnon de l’anxiété des heures terribles et du contentement des minutes satisfaites ; mon véritable frère d’armes ; celui qui fit avec moi le moteur toujours agissant du ministère. Notre union ne fut pas troublée un instant. Il aimait à se vanter de me conduire, d’être la véritable tête du ministère, et l’on ne