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nécessaire que la foi lui donne. Plus je vis, et moins j’aperçois que les peuples puissent se passer d’une religion positive ; cela me rend moins sévère que vous sur les inconvéniens que présentent toutes les religions, même la meilleure.

La plupart des traits auxquels vous croyez, reconnaître une morale nouvelle ne sont pour moi que les signes qui ont toujours accompagné l’affaiblissement d’une foi religieuse.

Quand on ne croit plus à une religion, qu’on ne place aucune valeur morale dans la foi et qu’on n’estime plus les actes qu’en eux-mêmes, cela est bien clair.

De même, quand la notion de l’autre monde devient obscure, il est naturel encore que les hommes qui ne peuvent, se passer de loi morale, cherchent à en trouver la sanction dans cette vie et créent tous ces systèmes qui, sous différens noms, appartiennent à la doctrine de l’intérêt.

De même aussi, lorsqu’on perd de vue les jouissances célestes, il est tout simple qu’on s’attache de plus en plus aux seuls biens qui vous restent, ceux de ce monde, et qu’on tienne d’autant plus à ceux-là que l’existence des autres devient plus problématique.

Je crois que tout cela s’est vu en partie au déclin du paganisme et se verra toutes les fois qu’une religion perdra son empire. Il se trouvera alors une foule qui montrera ces instincts et des philosophes qui réduiront ces instincts en doctrine.

Je vous avoue encore que je ne suis pas émerveillé de ce qu’on appelle la réhabilitation de la chair. Le christianisme avait peut-être poussé jusqu’à l’excès la glorification de l’esprit. Mais le christianisme était en cela une réaction admirable contre son temps et l’esprit des anciennes religions. Est-ce que vous ne trouvez pas qu’il y avait, une beauté incomparable dans cette lutte ouverte de l’esprit contre la matière triomphante ? Si le christianisme a été entraîné trop loin par la grandeur même de son effort, le danger à mon sens n’était pas fort à craindre. Car tous les instincts de la masse des hommes poussent en sens contraire, et la chair se serait bien réhabilitée d’elle-même, quand les philosophes ne s’en seraient pas mêlés.

En jetant pêle-mêle et à la hâte sur le papier ces idées, je n’ai pas pour but de vous convaincre, mais seulement de vous faire comprendre en quoi je diffère de votre opinion. La plupart des choses qui vous paraissent des nouveautés en morale, me semblent les effets naturels et nécessaires de l’affaiblissement de