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Cependant, pour enrichir et fortifier ces facultés naissantes, les impressions du dehors apportaient leur fécond tribut. La mer d’abord, « si souvent regardée par ses ancêtres marins » que, la première fois qu’il la vit, il crut la reconnaître, et qui, de loin en loin, « lui mettait un peu d’immensité dans les yeux. » Puis, ce fut l’initiation au dessin, à la peinture, à la musique « évocatrice d’ombres, » en attendant Liszt et Beethoven, et la découverte, trop prompte et trop fructueuse peut-être, des « hallucinations » de Chopin. Puis, pendant les joyeuses journées vécues à la Limoise, le domaine familial, et un peu plus tard, durant les vacances passées dans un coin du Midi, ce fut l’intime communion avec la terre natale, la vision lentement formée et fidèlement entretenue des paysages de France et de tous ces horizons familiers dont le souvenir ému le poursuivra jusque sous les climats les plus opposés. Et enfin, des livres de voyages, et des lettres d’un frère aîné auquel Loti paraît avoir un peu ressemblé, et qui fut marin comme lui, — lettres « qui pour lui sentaient toujours les lointains pays enchantés, » — de tout cela, il se dégageait un pressentiment et comme un parfum d’exotisme très attirant et très troublant tout ensemble. Et ainsi se formait peu à peu, à l’ombre du foyer domestique, et loin des influences qui auraient pu en gêner le libre développement, cette personnalité qui devait un jour s’exprimer par tant d’œuvres charmantes. Quand, à douze ans et demi, l’enfant entra au collège, elle était déjà presque fixée en ses traits essentiels.

Ce furent alors, de son propre aveu, « quatre années de l’externat le plus libre et le plus fantaisiste. » Elève irrégulier, ennuyé et peu laborieux, à la fois orgueilleux et timide, « pas populaire parmi ceux de sa classe, et dédaigneux de ces compagnons de chaîne avec lesquels il ne se sentait pas une idée commune, » il y complète capricieusement, à bâtons rompus, l’éducation littéraire dont il avait reçu dans sa famille les premiers élémens. On le destinait à l’Ecole polytechnique ; et lui n’avait point protesté contre cette orientation nouvelle imposée à sa vie ; mais peu à peu, dans le secret de son cœur, ses rêves d’exotisme prenaient corps, et il sentait la vocation de marin sourdre et se préciser en lui. En même temps, une autre vocation, héréditaire peut-être aussi celle-là, — car les fragmens qu’il nous cite d’un journal tenu par sa sœur rappellent en effet sa manière, presque à s’y méprendre, — une autre vocation se faisait jour dans ce