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« puérile vanité, » de ce « blasphème d’enfant ; » il ne se contente plus de « soutenir, par attachement de cœur, par douce tradition d’enfance, l’ineffable leurre chrétien, convaincu alors comme maintenant, comme toujours, que jamais plus radieux mirage ne viendra enchanter les heures de souffrance et de mort, » il s’indigne, il se révolte : « Alors, je me mis à défendre le christianisme avec une violence subite, comme si on m’eût outragé moi-même. » [L’Exilée, 1893, p. 95-90.]

L’homme qui parle ainsi n’a pas renoncé définitivement encore à reconquérir la foi maternelle : il est déjà presque à moitié sur la route de Jérusalem[1].


Où sont mes frères de rêve, ceux qui jadis ont bien voulu me suivre aux champs d’asphodèles du Moghreb sombre, aux plaines du Maroc ?… Que ceux-là, mais ceux-là seuls, viennent avec moi en Arabie Pétrée, dans le profond désert sonore…

Puis, au bout de la route longue, troublée de mirages, Jérusalem apparaîtra, ou du moins sa grande ombre, et alors peut-être, ô mes frères de rêve, de doute et d’angoisse, nous prosternerons-nous ensemble, là dans la poussière, devant d’ineffables fantômes. [Le Désert, p. 1895, p. I-II.]


« Anxieux pèlerinage, depuis si longtemps souhaité, remis d’année en année par une instinctive crainte[2], » laquelle ne devait d’ailleurs être que trop justifiée. La foi ne se donne pas, et, dans la mesure où on peut la conquérir, elle exige, avec l’humilité du cœur, le don absolu, sans réserve de l’âme tout entière, et un vigoureux, un persistant effort de la volonté. Loti a-t-il réalisé pleinement ces conditions préalables ? Les lecteurs

  1. A propos de Matelot et de l’Exilée, la Nouvelle Revue reçut d’un prêtre anonyme, sur le Christianisme de M. Pierre Loti, un curieux article, qu’elle publia dans son numéro du 1er décembre 1893. L’auteur se proposait d’y montrer que « la plus grande et la meilleure partie de l’œuvre de Loti est toute pénétrée du sentiment chrétien, » et que c’est à cela surtout qu’elle a dû son succès. Le sentiment chrétien, il le trouve, sinon dans la conception que l’écrivain se forme de la mort, tout au moins dans sa conception de l’amour, et à ce propos, non sans quelque naïveté, il déclare que Loti « n’a jamais écrit une ligne dont l’intention n’apparaisse très évidemment d’une pureté absolue. » Et il conclut : « Je voudrais seulement que M. Pierre Loti apprit qu’un prêtre, certes faillible, mais de bonne volonté et n’ayant en vue que le bien et la grandeur des âmes, a pu affirmer en parlant de ses livres : ce sont de bons livres, aussi au sens chrétien de l’expression. »
  2. Jérusalem, p. 178. — Sur Pierre Loti en Terre-Sainte, il faut lire le très bel article, si plein, si vibrant et si suggestif que M. Paul Bourget a récemment recueilli dans la troisième série de ses Études et Portraits, Sociologie et Littérature, Paris, Plon, 1906. On fera bien d’y joindre l’étude très clairvoyante de M. l’abbé Birot dans le Mouvement religieux. Paris, Lecoffre, 1901.