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songer à Pascal. Dans une nuit d’hiver, toute scintillante d’étoiles, le poète éprouve et nous dépeint merveilleusement « ce sentiment particulier qui est l’épouvante sidérale, le vertige de l’infini. » Et il marche « orgueilleux et troublé dans son rêve. » Mais voici que, « devant la route de sa pensée en révolte, » se dresse la silhouette d’un clocher de village, qui « masque à sa vue des constellations, des milliers d’univers, des groupes incommensurables de mondes, » et qui « semble tout à coup lui dire : »


Dans de plus mystérieux domaines, admets donc aussi mes proportions relatives ; bénis en moi, en l’idée chrétienne que je représente, l’écran protecteur capable de te cacher les abîmes, de l’épargner l’effroi des gouffres.

Par rapport au rien que tu es, cette idée-là me parait infiniment grande ; elle offre des vérités inconnaissables, une représentation très suffisamment approchée, et mise avec sagesse à la portée de ta raison frêle. Essaye d’imiter les simples qui, à mes pieds, sont couchés sous les tombes, et qui s’en sont allés confians, sans scruter le vide ni connaître le vertige. [Reflets sur la sombre route, p. 11-12.]


Ce conseil si sage, Loti ne pourra s’y tenir définitivement encore. Comme autrefois la Judée, l’Inde « millénaire » va l’attirer maintenant, et pour des raisons analogues à celles qui l’ont jadis conduit à Jérusalem : des images nouvelles à trouver, et un peu d’apaisement moral à conquérir : « Je m’en vais là, dans cette Inde, berceau de la pensée humaine et de la prière, pour y demander la paix aux dépositaires de la sagesse aryenne, les supplier qu’ils me donnent, à défaut de l’espoir chrétien qui s’est évanoui, au moins leur croyance, plus sévère, en une prolongation indéfinie des âmes. » Au temps de sa première jeunesse, c’était une idée courante, — elle est aujourd’hui, comme on sait, très fortement battue en brèche, — que bouddhisme et christianisme se ressemblent trait pour trait, dans le fond de la doctrine comme dans leur développement historique, et que Çakya-Mouni, en un mot, fut un « frère et un précurseur de Jésus. » Cette idée-là, Loti en avait écarté brièvement l’obsession durant son voyage à travers la Galilée, mais, le « leurre chrétien » n’ayant pu fixer longtemps son inquiétude, elle avait dû se représenter plus tard à son esprit, et il éprouvait maintenant le besoin d’en contrôler la vraisemblance. « Jadis, attaché désespérément que j’étais à la conception chrétienne de la vie, j’avais dédaigné l’examen de cette doctrine qui révoltait toute mon