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humaine tendresse. » Tout d’abord, le sombre et farouche brahmanisme lui donne « l’impression de quelque chose de lugubrement idolâtre, de formé aussi, d’hostile et de terrible, » et il se prend à regretter « la douce paix mensongère des églises chrétiennes, bienfaisantes encore à ceux-là mêmes qui ne croient plus ; » il n’a d’ailleurs que faire de l’immortalité non séparée que lui promettent les théosophes de Madras ; mais l’un d’eux, en lui conseillant d’essayer du « brahmanisme ésotérique, » lui tient le symbolique langage que voici :


Cherchez et vous trouverez : moi, j’ai cherché depuis quarante ans ; ayez le courage de chercher encore… Et puis, — ajouta-t-il en souriant, — votre heure n’est pas venue ; la terre vous tient encore par des liens terribles.

— Peut-être.

— Vous cherchez, mais vous avez peur de trouver.

— Peut-être.

— Nous vous parlons de renoncement et vous voulez vivre !… Continuez donc votre voyage : allez voir Delhi et Agra, tout ce que vous voudrez, tout ce qui vous appelle et vous amuse. Promettez-moi seulement qu’avant de quitter l’Inde, vous irez vous reposer chez nos amis de Bénarès… [L’Inde, p. 257.]


Et à Bénarès, l’initiation commence. Voici que peu à peu, sous la parole des vieux sages, tombent les « limitations illusoires qui produisent les désirs de l’être séparé, » et que le détachement, le renoncement germent dans l’âme du poète. « Je sais, nous dit-il, que ce renoncement passera, et que peu à peu, échappé de cette sphère d’influence, je me reprendrai à la vie, mais jamais comme avant, » car on a fait passer devant lui « de telles évidences qu’il ne doute plus d’une continuation presque indéfinie de sa propre durée ; » « et la consolation puisée là, au moins n’est pas destructible par le raisonnement, comme celles des religions révélées. » Et il devait, à défaut d’un enseignement qu’il se juge incapable de donner, cette indication suprême aux « frères inconnus » qui l’ont toujours si fidèlement suivi.

Est-il bien vrai d’ailleurs qu’ « on ne redevienne jamais tout à fait soi-même, lorsqu’une fois on a été touché, si légèrement que ce fût, par la paix qui règne dans la petite maison des Sages ? » On ne s’en douterait guère, en tout cas, quand, après les Derniers jours de Pékin et la Troisième jeunesse de Madame Prune, on lit Vers Ispahan et les Désenchantées. Il semble que nous retrouvions bien là tout entier le Loti du Maroc et de