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Salonique, bien placé pour juger de la gravité de la situation, écrivait le 28 octobre et le 15 décembre, à M. Delcassé, des rapports où il traçait un plan de réformes nécessaires et indiquait, comme un minimum indispensable, la réorganisation immédiate de la gendarmerie et la répression des abus auxquels donnait lieu l’affermage des dîmes. Mais l’Europe, par une sorte d’accord tacite, avait donné aux deux « puissances les plus directement intéressées » une sorte de blanc-seing pour agir en son nom et prendre en Macédoine les mesures nécessaires au maintien de la paix. La parole était donc aux cabinets de Vienne et de Pétersbourg : ce fut d’abord la Turquie qui la prit.

C’est une méthode que les hommes d’État ottomans pratiquent volontiers quand ils se rendent compte que l’Europe va se trouver obligée de les mettre en demeure de tenir leurs engagemens : ils se hâtent alors de promulguer eux-mêmes quelques beaux règlemens ou quelques bonnes lois qu’ils se réservent de ne jamais appliquer, si les puissances ont l’air de s’en contenter. Ainsi essaya de faire Abd-ul-Hamid en 1902 : il espéra prévenir le coup dont il se sentait menacé en nommant un « Inspecteur général des trois vilayets de la Turquie d’Europe » et en publiant, le 1er décembre, des « Instructions » qu’il serait chargé d’appliquer. Ces instructions n’apportaient pas de modifications notables au régime en vigueur. Remplacées et dépassées par d’autres programmes, elles n’eurent bientôt plus que la valeur d’un document d’archives ; au contraire, l’Inspecteur général est resté et sa fonction a pris de plus en plus d’importance à mesure que l’application des réformes s’est développée.

S. E. Hussein Hilmi Pacha, Inspecteur général des trois vilayets de la Roumélie, est un Turc des îles ; il a, dit-on, dans les veines du sang grec : en tout cas, s’il a la finesse d’un Hellène, il a l’énergie d’un Osmanli. Grand, le corps sec, osseux, et comme fondu par les températures de serre chaude où il a vécu dans l’Yémen et où il se complaît, la barbe et les cheveux très noirs avec quelques fils d’argent, le teint basané et recuit, il a l’air d’un pèlerin du désert. Mais sa tournure, dans sa redingote et son faux-col impeccables, sa toilette où le fez rouge, très enfoncé sur le front, dénote seul la nationalité, ses mains fines, élégantes et un peu fébriles, la courtoisie de ses manières distinguées, la façon élégante et nuancée dont il parle le français, font de lui un type achevé de diplomate oriental. Sous ses épais sourcils noirs, Hilmi