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oncle qui, d’après Bismarck, était le principal obstacle à l’exécution du traité de Prague. Le Tsar se montra tout disposé à cette démarche, et promit qu’il allait suivre de très près cette affaire et en faire l’objet d’une négociation secrète avec son oncle : bien que les liens de famille ne fussent pas d’un grand poids dans la politique, il plaiderait la cause du père de sa belle-fille. Mais il sortit vite de la question et laissa voir que sa principale préoccupation était l’Orient, dont Fleury ne lui disait rien. Il critiqua l’Autriche, ne comprenant pas pourquoi François-Joseph était allé à Constantinople d’où « il reviendrait plus Oriental que jamais. » Et il ajoutait : « Beust ne sera jamais qu’un brouillon. »

Alexandre écrivit, en effet, une lettre pressante à son oncle, et Fleury raconta la démarche à l’ambassadeur prussien Reuss, qui, on le suppose, ne garda pas la confidence pour lui. Elle courut aussitôt à travers toutes les chancelleries. Les Danois s’en émurent, demandèrent à être mêlés à la négociation. Bismarck interrogea Benedetti, qui, bien aise de ne pas être agréable à Fleury, l’adversaire de ses patrons Rouher et La Valette, railla la démarche « compromettante qui réveillait une question assoupie, et ne pouvait avoir aucun résultat. » La Tour d’Auvergne, ne se souciant pas de rallumer le feu couvert de cendre, prescrivit 5. Fleury le calme, la réserve. Quelques jours après, le Tsar apprit à notre ambassadeur qu’il avait reçu la réponse de son oncle. Elle était évasive : « Je réfléchirai mûrement sur l’objet de ces conseils et de ces observations. » Il en reconnaissait l’importance, mais ne pouvait prendre un parti définitif. Il fallut donc parler d’un autre sujet. L’occasion ne manquait pas. Le Tsar se montrait gracieux et emmenait sans cesse Fleury à ses chasses à l’ours, et le faisait voyager côte à côte dans le traîneau à une place. Plus la facilité de parler à cœur ouvert lui était offerte, plus le Tsar s’étonnait que notre ambassadeur en profitât si peu, et ne sût jouer que le rôle d’un diplomate transi. De quoi le général aurait-il parlé ? On ne savait pas à Paris ce qu’on voulait : comment aurait-il pu le dire au Tsar ? Cependant, un peu aveuglé de ses succès personnels, Fleury croyait l’amitié russe regagnée et en persuadait l’Empereur. Mais un événement imprévu vint le tirer de sa confiance diplomatique.

A l’anniversaire du centenaire de l’institution de l’ordre