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si ce n’est à la fois, dans le nuage inconsistant et mobile de sa pensée sonore, une belette, une baleine et un chameau.

Mais à la richesse, à la subtilité de cette élaboration, la médiocrité de l’invention ne nous parait point inégale. La plupart des idées « mélodiques » (si l’on peut les qualifier ainsi) de Salomé existent à peine. Les autres, qui sont un peu davantage, ne sont que de banales ou vulgaires idées. Le motif de Jean, le premier au moins des deux motifs qui lui sont particulièrement affectés, en soi-même autant que dans sa progression, manque singulièrement de caractère. Le second (par intervalles de quarte) a quelque grandeur. Quant au personnage de Salomé, les traits principaux, qui devraient nous frapper avec éclat, éclatent en effet, mais avec quelle fâcheuse trivialité ! Tantôt c’est une ébauche de valse, harmonisée de façon terrible, et dont cette harmonie bizarre, affreuse, fait paraître encore le rythme plus ordinaire, et plus lâche, ou plus débraillé, le contour. Tantôt, et surtout, c’est la phrase amoureuse, lascive par excellence, peut-être la plus déplorable de l’ouvrage, qui se déroule, ou se dégorge dans un style de café-concert, et de café-concert allemand.

Le reste, — nous parlons toujours de l’élément thématique, — le reste est composé de riens : de riens au pluriel, de riens innombrables, mais de riens. Nous n’oublions pas, car on ne manquerait pas de nous le rappeler aussitôt, qu’il n’est pas besoin de beaucoup de notes pour faire un motif, et quelquefois sublime. Deux ou trois y peuvent suffire : témoin le thème initial de la symphonie en ut mineur, ou le thème d’entrée de Tristan. Mais il faut que ces notes portent pour ainsi dire en elles un caractère, un sens, un principe de vie et de beauté. Les thèmes de Salomé ne contiennent rien de semblable. Autant que sommaires, ils sont trop souvent insignifians. Réduits au minimum de la forme, dans l’espace et dans le temps, ils ne paraissent pas des lignes, mais des points. Et si le « pointillisme, » comme dit le jargon esthétique, est déjà désagréable en peinture, où l’œuvre pourtant se présente et s’embrasse tout entière à la fois, la condition même ou la nature successive de la perception musicale le rend plus fastidieux et plus pénible encore.

Enfin, ces formes trop brèves se suivent avec une vitesse que jamais rien ne modère ou ne suspend. Hormis quelques phrases de Jean, pas une halte lyrique ne ralentit la course et la trépidation du cinématographe sonore. A côté de cette fuite éternelle, l’in-fieri wagnérien lui-même paraîtrait permanence et stabilité.

Ce n’est pas tout. Autant que la transformation des thèmes, leur