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rapports nécessaires, qui sont leurs inviolables lois. Aucun peintre ne représentera jamais le visage de l’homme avec trois yeux, son corps avec deux visages. Si le marbre du sculpteur n’est pas d’aplomb, si les pierres de l’architecte ne sont pas en équilibre, si elles portent à faux, elles tomberont. Les notes seules, par un funeste privilège, peuvent porter à faux impunément. Dans Salomé c’est ainsi que le plus souvent elles portent. « Je cherche, » disait un enfant de génie, « je cherche les notes qui s’aiment. » M. Richard Strauss a l’air de chercher surtout les notes qui se haïssent, qui se heurtent et se blessent. Et personne peut-être n’a jamais eu comme lui le don de les trouver et, par force au besoin, de les réunir. Il y a dans son art un goût et comme un parti pris de violence, de cruauté, presque d’horreur.

Quelque temps après la représentation de Salomé en Italie, un grand, très grand artiste nous écrivait de l’autre côté des Alpes : « J’ai été, ces jours derniers, témoin d’un outrage sans nom fait à une Immortelle… C’est l’œuvre d’un Allemand, vitrioleur de l’art… Heureusement les formes divines de la musique ne sont visibles qu’à l’âme, et l’outrage, ne laissant pas de trace, sera bien vite oublié. »

Cela était peut-être un peu trop dur, mais seulement un peu.

Sous la direction merveilleusement intelligente et passionnée de l’auteur, la beauté de l’exécution a surpassé de beaucoup celle de l’œuvre même. Un orchestre de France y concourait avec une troupe de chanteurs allemands. Il a tout exprimé, cet orchestre, passant de la fluidité limpide et de la douceur murmurante à la furieuse et spasmodique violence. Sur le courant, ou le torrent de la symphonie écumeuse, Mlle Destinn (Salomé) a jeté avec audace, ou posé avec une suavité exquise, une voix admirable tantôt de puissance, tantôt de tendresse, et toujours de pureté. A côté d’elle il faut louer, encore plus que l’interprète consciencieux mais un peu lourd du rôle de Jochanaan, celui du rôle d’Hérode : M. Burrian. Par sa voix, — une belle voix de ténor, étendue et timbrée, — par son chant et par son jeu, M. Burrian a fait du tétrarque le fantoche d’opérette à la fois le plus sinistre et le plus réjouissant.


Ce n’est pas la première fois qu’on transporte ou qu’on transpose au théâtre l’histoire de Barbe-Bleue. Meilhac et M. Halévy traitèrent jadis l’horrifique sujet de la façon la plus claire et la plus divertissante. On n’ignore pas que la manière de M. Maeterlinck est tout autre.

Rien que ces deux noms : Ariane et Barbe-Bleue, inopinément rapprochés, forment un titre hétéroclite. Il étonne d’abord et la suite ne