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serviteur du roi de Prusse, Schneider : « On se donne, des côtés les plus différens, toutes les peines du monde pour séparer la Russie de la Prusse et semer la méfiance, mais tant que je vivrai cela n’arrivera pas. Mes sentimens ne changeront ni envers le Roi, ni envers la Prusse. » Russell raconte que Clarendon lui a affirmé que, vers cette époque, « un accord avait été fait avec la Russie, par lequel la Russie devait avoir une armée de force suffisante sur la frontière de la Gallicie polonaise pour empêcher l’Autriche d’assister la France dans la guerre imminente[1]. »

Des informations très sûres m’ont amené à croire que si Clarendon et Russell ont donné au mot « accord » le sens d’un traité formel libellé par articles, ils se sont trompés. L’accord réel, que révélait la manifestation de l’ordre de Saint-Georges, ne ressemblait pas du tout à un acte diplomatique proprement dit. C’était l’équivalent de ce qu’avaient établi les lettres échangées entre les empereurs de France et d’Autriche et le roi d’Italie : engagement d’honneur entre gentilshommes de s’aider réciproquement dans des circonstances qu’on ne pouvait pas préciser d’avance.


VI

Les choses n’allaient pas mieux pour nous en Italie. Le ministère Menabrea avait la vie de plus en plus difficile. Battu en brèche furieusement par la coalition de la Gauche et de la Permanente piémontaise, déconsidéré, quoiqu’il ne le méritât point, par les tripotages qui s’étaient mêlés à son projet de loi sur la régie co-intéressée des tabacs, il avait essayé en vain de se fortifier par l’adjonction de Mordini, de Minghelti, de Ferraris, puis, ce dernier s’étant retiré, du jeune Rubini. Menabrea s’affaiblissait sensiblement chaque jour, de plus en plus mal défendu et de plus en plus vigoureusement attaqué.

La crainte d’une crise dynastique retarda un instant la crise ministérielle. Le Roi fut saisi à San Rossore d’une violente fièvre miliaire. On le crut perdu. Il régla ses affaires en épousant morganatiquement la Rosina, et fit appeler un prêtre. Il avait toujours eu grand’peur de l’enfer ; au moment d’aller se mettre à la tête de son armée, en 1866, il s’était adressé au Saint-Père, pour qu’en cas de danger de mort, il pût, sans difficulté, recevoir

  1. John Kussell. Recolleclions and sugyestions, ch. XIII. European prospects (second édition, London. Longmans Green and Cie, 1875).