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l'ont pris et le livrent, pieds et poings liés, à la justice conjugale, et conjugale six fois. Mais celle-ci, par un revirement inattendu, se change ou se fond en amour. Ariane et les autres pansent le blessé, le délient. Autour de lui, c'est une émulation de miséricorde et de tendresse. Ariane du moins, ayant accompli son œuvre de rédemption, partira. Mais elle s'en ira seule. Et les cinq autres ? Les cinq autres demeureront. Apparemment, il leur plaît d'être battues, ou prisonnières, et le symbolisme de M. Mceterlinck se ramène à la formule, conjugale aussi, de Martine. Encore une fois, le sens de cette histoire est obscur. L'âme des personnages ne l'est pas moins. Le rôle et le caractère de Barbe-Bleue a même l'inconvénient de ne point exister. Quant au drame, on n'en peut rêver un qui soit moins une action, fût-ce tout intérieure. C'est le type de la pièce immobile. Rien ne s'y passe et surtout rien n'y change. La dernière scène offre ceci de particulier, qu'elle laisse, ou ramène exactement les choses au point où la première les avait prises. Ce théâtre est un théâtre d'ombres, d'ombres poétiques et tristes, ou mieux, — quelqu'un l'a dit, — une sorte de Guignol dolent et brumeux.

Il y a dans la partition de M. Paul Dukas des choses, beaucoup de choses, qui sont de la plus robuste et de la plus fière, en même temps que de la plus profonde et de la plus émouvante beauté. Je ne crois pas que depuis fort longtemps, sur la scène de nos théâtres de musique, rien de supérieur ou d'égal, en tout cas rien de semblable ait paru. Ici non plus sans doute, — c'est le défaut, ou plutôt l'excès de l'ouvrage, — l'ordre harmonique n'est pas toujours harmonieux. La dissonance y règne trop souvent en maîtresse. A cet égard, le second acte surtout ne laisse pas d'être pénible. Tel motif, en forme de spirale descendante, y vrille littéralement l'oreille. Jusqu'au moment où la verrière brisée par la main d'Ariane laisse entrer dans le souterrain (et l'entrée, ou l'irruption, est magnifique) le soleil, le printemps et la vie, le dialogue d'Ariane et des petites prisonnières se traîne lentement dans la nuit. Cette nuit, je vois ou j'entends bien que des lueurs sonores la traversent. Menus, grêles de forme, et d'un sentiment puéril à dessein, mille détails, d'orchestre ou de chant, ont un charme fragile, mêlé de mélancolie et de tendresse. L'impression tout de même est d'un gémissement, ou d'un grincement, d'une plainte ou d'une complainte monotone. Mais le plaisir que nous donne le reste de l'œuvre est si grand, si pur, que nous ne nous le gâterons point. Quand le mérite l'emporte, laissons-lui tout emporter. Rappelons-nous aujourd'hui le proverbe latin que citait Joseph