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prestige royal. Le marquis de Vergennes, frère de l’ancien ministre, décrit en termes lamentables la revue de la milice parisienne passée par le roi aux Champs-Elysées, le 18 octobre 1789. La revue était prescrite pour six heures, mais « quelques districts paresseux » n’arrivèrent qu’une heure après, et le Roi qui était venu à pied par les Tuileries fut obligé d’attendre une heure sous la pluie. Il était vêtu d’un frac brun et de bas gris « comme un garçon marchand de la rue Saint-Denis. » Le duc de Brissac et quelques officiers de la garde nationale formaient toute sa suite.

M. de Séneffe, qui s’était transporté de Belgique à Paris, en 1785, pour y jouir de sa fortune, l’augmenter en fondant une maison de banque internationale et se faire de belles et agréables relations, voit son existence bouleversée et ses intérêts compromis par les événemens révolutionnaires. Il se plaint à sa belle-sœur, Mme de Pestre, qu’on ne connaisse plus le plaisir à Paris en septembre 1789. « Comme Paris est changé ! Le diable emporte la liberté ! » Quelques jours après, il écrit à son oncle, M. J.-B. Cogels, banquier à Anvers : « Ils ont tout culbuté… Quand on a une maison à restaurer, c’est une grande erreur de prendre des architectes qui finissent toujours par renverser jusqu’aux fondemens. » Ces sages paroles dénotent un esprit clairvoyant chez ce financier qui fut acculé à la ruine et quitta Paris en juillet 1791, n’ayant plus les moyens d’être « d’aucune utilité pécuniaire » à l’exigeante personne qui lui accordait ses faveurs.

La diversité des épistoliers que cite M. de Vaissière, — ils sont plus de cinquante, — est une garantie de la diversité des impressions que ressentira le lecteur ; mais il n’est guère possible de faire une place à chacun d’eux dans une brève analyse, et nous sommes contraint de n’extraire de ces correspondances que les passages les plus significatifs.

La lettre de M. Dutailly décrivant la cérémonie du transfert des cendres de Voltaire à l’église Sainte-Geneviève est un document fort intéressant. C’est le 11 juillet 1791, de deux heures de l’après-midi à neuf heures et demie du soir, que l’on a promené « les tristes restes de Voltaire, de la Bastille jusqu’à Sainte-Geneviève. » Le commencement du convoi, comprenant des poissardes travesties en gardes nationaux et des filles vêtues en « vestales romaines, » avait l’air « d’une folie de carnaval. » Le char funéraire était traîné par les huit chevaux blancs de la Reine, qu’on avait pris « sans lui en demander la permission. » Ce singulier récit, fait de contrastes, n’est-il pas le commentaire le plus curieux que l’on puisse fournir de l’état d’esprit