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route bordée de fossés et de haies sur les deux côtés. Au coucher du soleil, le plus grand nombre des canetons étaient déjà revenus dans la basse-cour, trop épuisés pour émettre leur cri coutumier, et d’autres étaient en marche, que nous vîmes rentrer successivement ; mais pas un seul d’entre eux n’était revenu par la route par où on les avait conduits, et tous, dans la mesure où le permettaient les obstacles susdits, s’étaient dirigés en ligne droite vers leur basse-cour. »

Or ce « sens de la direction, » d’après Cornish, n’est nullement un privilège exclusif des bêtes : l’homme, lui aussi, le possède, ou plutôt l’a possédé jusqu’au jour où l’habitude de la réflexion a décidément étouffé, chez lui, la voix spontanée de l’instinct. Un voyageur anglais, M. Stillman, raconte que, s’étant égaré dans les forêts des Adirondacks, il était sur le point de désespérer lorsque l’inspiration lui est venue de ne plus réfléchir sur la voie à suivre, de fermer les yeux, et de fermer aussi, pour ainsi dire, les yeux de son esprit, afin de pouvoir entendre la dictée de son instinct : sur quoi il a marché en ligne droite, dans la direction que cet instinct lui avait indiquée, et après quelques heures de marche, il est arrivé à l’endroit même où l’attendait son escorte. Au témoignage unanime des colons de l’Amérique centrale et du sud de l’Afrique, les indigènes de ces régions « ont la faculté de trouver leur chemin, le jour ou la nuit, à travers des forêts d’un sol absolument plat, sans trace de sentiers ni de signaux quelconques, jusqu’à un point qu’ils désirent atteindre, pourvu seulement que ce point leur soit connu. » Et Cornish ajoute à ces exemples un cas tout à fait caractéristique, dont il a pu observer l’authenticité. Un de ses amis a amené en Angleterre, lorsqu’il est revenu s’y fixer avec sa famille, une jeune Australienne dont le tour d’esprit, tout « primitif, » l’avait intéressé. La famille où servait cette jeune sauvage a demeuré d’abord dans un hameau de l’East Riding, et puis, après quelques semaines, s’est installée dans un autre village, à quinze milles environ du précédent. Quelques jours plus tard, l’Australienne a disparu ; et ses maîtres ont appris qu’elle était retournée au premier village. Incontestablement, elle n’avait rien pu voir de la route, durant son voyage avec la famille de ses maîtres : car on l’avait mise au fond d’une grande voiture couverte ; et, d’ailleurs, ce n’est point par cette route qu’elle est revenue. Elle a couru à travers champs, en ligne droite, sans questionner aucune des diverses personnes qui l’ont vue passer. Le développement de l’intelligence, chez elle, étant resté rudimentaire, n’avait pas oblitéré le « sens inné de la direction. »

Du développement de l’intelligence chez les animaux, et des mille