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quatrième État, et que l’exploitation tyrannique des foules ouvrières ne devait pas durer jusqu’à la fin du monde. On avait des accès d’une mordante gaieté, dans les bureaux des Feuilles, lorsqu’on sentait que Schulze Delitzsch et ses amis étaient déconcertés et gênés par Lassalle : on faisait bon marché des associations fondées par Schulze Delitzsch, qui ne pouvaient « aboutir qu’au relèvement social d’une poignée de demi-bourgeois ; » ce dont il s’agissait, c’était la classe ouvrière. Lassalle avait tort de rêver d’un autoritarisme d’État qui aboutirait au despotisme militaire ; mais pourtant son messianisme avait du bon, et peut-être, sur les ruines du libéralisme, Lassalle frayait-il les voies à la solution chrétienne de la question sociale. Le monde se transformait ; l’élévation des travailleurs allait « nécessiter un changement de front dans la politique intérieure de tous les gouvernemens, et cette nouveauté, infiniment plus importante que les remaniemens imminens de la carte d’Europe, allait survenir assez prochainement dans les États industriels. » Avec allégresse, au nom du catholicisme, les Feuilles historico-politiques tournaient le dos aux tenaces vieilleries, aux vieilleries lentes à mourir ; « la société du libéralisme, notaient-elles en 1868, est à présent condamnée, d’une part, dans les allocutions du pape à Rome, d’autre part dans les allocutions de Jakoby, le tribun démocrate de Kœnigsberg. » Cela ne déplaisait pas aux Feuilles, de voir les sarcasmes de la démocratie sociale contre le libéralisme faire écho aux anathèmes du Syllabus ; elles aimaient ces attrayantes coïncidences comme des préludes de l’avenir. On se trouvait à un tournant de l’histoire ; de là, des devoirs nouveaux pour l’Eglise.


Si une nouvelle période de l’histoire, disaient les Feuilles en 1865, invoque plus hautement que jamais L’Evangile des pauvres, pourquoi l’Église ne devrait-elle pas accepter, elle aussi, d’apparaître avant tout comme une personnalité ouvrière ? (warum sollte nicht auch die Kirche vorherrschende Arbeiter-Gestalt annehmen ? )

De toutes les transformations qu’elle a déjà subies dans sa situation à l’endroit du monde, ce ne serait même pas la plus grande. En tout cas, toutes les autres questions ecclésiastiques pourraient bien, tôt ou tard, disparaître derrière celle-ci : « Comment le catholique doit-il se comporter vis-à-vis du nouveau mouvement des travailleurs ? »


Le penseur audacieux, original, qui interprétait ainsi, pour les catholiques d’Allemagne, les premiers murmures de la