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l’histoire des deux tissages qu’il avait installés, à Ingenbohl en Suisse, à Oberleitensdorf en Bohême, sous la direction des sœurs de charité ; il était mort en 1865, laissant ces entreprises dans un état financier très médiocre. On ne se décourageait point cependant, et une curieuse brochure, publiée à Vienne en 1868, reprenait le rêve de congrégations directrices de la vie industrielle. Elle s’intitulait : Le danger social de la question ouvrière et la possibilité de le conjurer, et était l’œuvre de Bernard de Meyer, dont le père, exilé de Suisse après la défaite du Sonderbund, avait trouvé asile à Vienne et beaucoup aidé à la conclusion du Concordat autrichien. Le déchaînement du capital par l’effet de la libre concurrence, le développement des valeurs mobilières, la suppression des lois contre l’usure, telle était, pour Bernard de Meyer, la triple source du mal social. Le remède proposé par Lassalle lui faisait l’effet d’une utopie : car une certaine vertu, qu’il appelait la discipline volontaire, serait indispensable dans les associations productives dont rêvait le tribun socialiste ; et Bernard de Meyer savait ou croyait savoir combien est rare cette vertu. Lassalle pourtant ne se trompait qu’à demi, et Bernard de Meyer reprenait avec lui : Oui, il faut que ces associations fonctionnent ; oui, il faut qu’aux généreux capitaux apportés par ceux qui possèdent se joignent des garanties d’intérêt ou même des subventions accordées par l’Etat. Mais le succès serait impossible, aux regards de Meyer, si l’on ne donnait pas à ces associations une direction complètement indépendante, si elles n’étaient pas libres à l’endroit des classes possédantes ; Meyer, alors, dessinait le plan d’une congrégation nouvelle qui présiderait aux nouveaux essais dévie industrielle ; et la revue le Catholique, de Mayence, accueillait avec intérêt cette ingénieuse combinaison, qui, sous l’ombrage pacifique de quelque rameau monastique, réaliserait en partie le programme révolutionnaire de Lassalle.


VIII

Eût-il été d’une sage tactique, pourtant, eût-il été conforme à la politique réaliste de l’Eglise, que le christianisme social se laissât immobiliser par l’ampleur même de ses rêves, et qu’il attendît tranquillement les merveilleux coups d’État, — gestes de capitalistes généreux, où bien violences ouvrières, — qui