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devant ces sèches constructions de planches qui sont moins un home qu’un petit dock, un atelier où s’abritent les outils pour violer la terre vierge. Violée en effet, maîtrisée et conquise, la terre donne son fruit, elle ne donne point sa fleur, sa gaîté, sa grâce. Traitée en esclave, elle obéit en esclave.

L’Européen, qui s’accouple à elle, n’a point été élevé avec elle. Il l’a ravie aux sauvages, à l’inverse des barbares qui vinrent naguère, au déclin de l’empire romain, partager par violence notre Gaule civilisée. Il ne s’est pas réfugié, sur ce sol d’outre-mer longtemps peuplé par la persécution, pour y chercher la liberté de sa foi, comme les Puritains ou les Calvinistes du XVIIe siècle ; ni pour gagner ou maintenir à son roi une colonie politique, comme furent au Canada ces milliers de La Verdure, de La Jeunesse, de La Violette ou de La Râpée, noms de guerre familiers des soldats de Louis XV, qui combattirent sous Montcalm, et dont les descendans, magistrats, hommes d’affaires ou industriels, remplissent aujourd’hui les pages du Directory et de l’Annuaire des téléphones à Québec et à Montréal.

Les fermiers du Centre et de l’Ouest ont confisqué ce fonds aux races que nous appelons « incompétentes, » pour y planter, non des drapeaux, ni des croix, ni des roses, mais des grains et des fourrages artificiels ; et les orangers de Californie ne sont pas faits pour embaumer l’atmosphère, mais pour remplir de leurs fruits les « refrigerators-cars. »

Il résulte de cet objectif qu’aux Etats-Unis le mouvement usinier se continue et vous suit dans la campagne, manufacture de plein air. Il s’en dégage une forte impression de lucre et de vouloir, mais aussi d’ennui. L’avenir changera naturellement tout cela. Le maître enrichi, sûr de son vivre, songera à son plaisir comme il fait déjà dans l’Est. Il mettra des fleurs parmi ses blés et un jardin devant sa porte. Il serait injuste de reprocher, à ces hommes qui ont tant lutté et tant appris, d’avoir fait passer le nécessaire avant l’agréable et de n’avoir pas créé tout en un jour.


Vte G. D’AVENEL.