Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 40.djvu/367

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’Alexandre le Grand, par des charrues en fer ; on achète des instrumens agricoles. Les hommes valides étant partis pour les Amériques, ce sont les vieillards, les femmes et les enfans qui cultivent ; la main-d’œuvre agricole est devenue si rare que les salaires se sont élevés de trois piastres par jour à dix et à vingt piastres. Partis outre-mer ou occupés aux travaux des champs devenus plus rémunérateurs, les hommes ne font plus partie des bandes et la pacification du pays y gagne. A la veillée, dans les chaumières, et dans les villes, les jours de marché, tous ces Macédoniens parlent moins d’insurrection ou de réformes : si on les écoutait, on entendrait revenir dans leurs propos des mots qui sonnent étrangement sur celle vieille terre : Amérique, Granite-City, San-Francisco, Buenos-Ayres !

Le plus curieux, dans ce phénomène de l’émigration, c’est qu’il ne fait pas de mécontens, au moins en Macédoine ; chacun prend sa part de ce pactole américain qui coule dans les pauvres campagnes du pays de Monastir. Les Comitadjis eux-mêmes y trouvent leur compte ; ils n’autorisent l’émigration qu’en prélevant une taxe de vingt francs par tête à la campagne et de dix francs à Monastir. Le gouvernement, de son côté, voit avec plaisir un mouvement qui apporte de l’argent dans le pays, facilite la rentrée des impôts et satisfait tout le monde. Jusqu’à présent l’influence bienfaisante du mouvement ne s’est fait sentir que dans deux ou trois cazas. Quelques villages du vilayet de Salonique ont commencé à suivre l’impulsion, mais le vilayet de Kossovo reste encore immobile ; d’ailleurs, ce que quatre ou cinq mille émigrans peuvent faire facilement deviendrait plus difficile, impossible peut-être, à vingt, trente et quarante mille. Ce n’est pas que le travail manquerait en Amérique : la bonne main-d’œuvre à bon marché y fait prime ; les Macédoniens sont attirés vers l’Ouest ; plus ils s’éloignent, plus les salaires sont alléchans. Ce n’est pas non plus que les moyens de transport feraient défaut, car les compagnies de navigation se disputent les émigrans ; mais un gouvernement routinier ne s’effrayerait-il pas d’un pareil exode ? Peut-être cependant y a-t-il là pour l’avenir un élément de solution du problème macédonien dont il faut tenir le plus grand compte. Nous avons dit que la question macédonienne est d’abord et surtout une question sociale : ce que les réformes n’ont pas fait pour la résoudre, les émigrans, par le jeu naturel des faits économiques, sont en train de le réaliser.