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notre sensibilité moderne de cette mélancolie qui rêve devant les ruines ? Passons au XVIIe siècle : il est bien vrai que ni Pascal, ni Corneille, ni Racine, ni Molière, ni La Bruyère n’ont éprouvé le besoin de sortir de chez eux. L’exotisme représente un ordre de curiosités auquel ils sont restés parfaitement étrangers, il faut le reconnaître. C’étaient des gens à recommencer sans cesse, aux régions du cœur et dans le cercle de la société, un voyage toujours nouveau et à y Voir toujours plus de pays. Mais le siècle ne s’achèvera pas, sans que Regnard quitte ses champs de la rue Richelieu, pour s’aller faire prendre prisonnier par les pirates barbaresques et monter jusque chez les Esquimaux, afin d’y boire, lui gourmet, de l’huile de phoque. Et bientôt, par force ou par goût, par nécessité ou par mode, les gens de lettres et les gens du monde, Montesquieu, Voltaire, le président de Brosses, et tant d’autres, prendront le chemin de l’Angleterre ou de l’Italie, jusqu’au jour où sa mauvaise étoile et notre bonne fortune mèneront Bernardin de Saint-Pierre découvrir dans l’Ile de France des sensations vraiment inédites avec l’art de les traduire. Mais XVIIe et XVIIIe siècles ont eu leurs voyageurs de profession : c’est Bernier qui va chez le Grand Mogol, c’est Tavernier qui va en Turquie et aux Indes, c’est Chardin qui parcourt la Perse, et ce sont ces admirables Pères Jésuites.

Ceux qui manient aujourd’hui leurs ouvrages volumineux, et qui, refaisant après eux le même chemin, sont amenés à contrôler leurs assertions, sont unanimes à leur rendre hommage. Appartenant à un temps où c’était l’usage de bien faire ce qu’on faisait, ils savaient à merveille leur métier de voyageurs et s’en acquittaient en conscience. Aussi perspicaces que sincères, ce qu’ils ont vu, ils l’ont bien vu, et ils l’ont rapporté avec simplicité. C’étaient, a-t-on dit, des manières d’encyclopédistes qui avaient non seulement des clartés de tout, mais des connaissances assez précises sur presque toutes les sciences de leur époque. On a très finement caractérisé leur manière d’observer, en notant que les « les hommes qu’ils avaient sous les yeux les [intéressaient, non pas en qualité de fantoches chatoyans, mais en qualité d’hommes. » Ils en ont tracé des portraits dont les grandes lignes subsistent… Et pourtant, on peut écrire toute l’histoire littéraire de ces deux siècles, sans prononcer leurs noms ; personne, hors les spécialistes, ne lit plus leurs livres. Que leur a-t-il donc manqué ? M. Bellessort, — qui les connaît bien et qui devrait nous présenter quelque jour une galerie de leurs portraits, — va nous le dire ; mais toutefois en leur faisant gloire de ce qui est précisément leur insuffisance. « Nous