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De telle sorte que, parmi les visiteurs de la galerie milanaise, un bon nombre passent, indifférens et las, devant ce Corrège, et s’empressent de l’oublier dès l’instant d’après. D’autres, plus respectueux de l’autorité des grands noms, s’efforcent consciencieusement à découvrir et à goûter, dans le tableau du musée Brera, les délicieuses vertus d’émotion et de beauté qu’ils savent que Corrège a mises dans tout ce qu’il a peint. Mais il en est d’autres aussi, — ou, du moins, je le suppose, — qui se rendent bien compte que ces qualités ne se retrouvent point dans le tableau qu’on leur montre. Ils ont vu, à Paris, l’Antiope et les Fiançailles de sainte Catherine ; à Dresde, les trois grandes Vierges et la Nativité ; à Parme, la Vierge à l’Ecuelle et la Vierge avec saint Jérôme, le Martyre de sainte Flavie, la Pietà, les fresques de Saint-Jean-l’Evangéliste, de la Cathédrale, et du Couvent de Saint-Paul ; à Vienne et à Rome, les Amours de Jupiter : et, dans toutes ces œuvres, sous la différence de leurs dates et de leurs sujets, ils ont senti un même cœur de peintre-poète, servi par une même main merveilleusement souple, délicate, et légère. Et force leur est bien de se dire que nulle trace de ce cœur ni de cette main n’apparaît dans l’Adoration des mages de Milan. Sur quoi les catalogues et les manuels, et les biographies particulières de Corrège, leur affirment que ce tableau est une œuvre de jeunesse, antérieure d’un an ou deux à la Vierge avec saint François (de Dresde), qui est la première œuvre où Corrège ait inauguré sa manière personnelle. Mais les visiteurs scrupuleux n’en emportent pas moins, de leur voyage à travers le musée Brera, une impression de surprise mêlée de regret. Ils ont beau savoir que Corrège, après avoir peint cette Adoration, s’en est aussitôt repenti, et s’est donné tout entier à un art plus haut : la vue du tableau lie Milan n’en a pas moins altéré la pureté, l’harmonieuse et charmante unité, de l’image qu’ils se faisaient du génie du maître italien ; et, malgré eux, toujours désormais il va leur sembler que ce génie n’a pas été aussi parfait qu’ils l’avaient cru jusqu’alors. Si l’auteur de la Vierge à l’Ecuelle et de la Danaé a pu, dans sa jeunesse, produire sans honte des peintures non seulement aussi malhabiles et désagréables que l’Adoration des mages, mais aussi dépourvues d’intelligence artistique et de poésie, c’est donc que ses plus glorieux chefs-d’œuvre même, — et ; par exemple, l’adorable Sainte Catherine du Louvre, — n’ont point jailli spontanément du plus profond de son âme, mais ne sont que le résultat d’un long et patient travail volontaire. Et le visiteur du musée Brera est tout prêt à estimer davantage le caractère de Corrège ; mais il ne peut s’empêcher de sentir qu’il