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telle qu’elle existait il y a cinq cents ans, vous préférez n’en avoir aucune : soit. De peur de subir le despotisme des partis, sous lesquels du moins on pouvait défendre par la parole et la presse sa dignité et son indépendance, vous trouvez bon d’être opprimé d’une seule manière et par un seul individu à la fois, mais si bien que personne, pas plus vous qu’un autre, ne peut souffler mot : soit encore. On ne peut disputer des goûts. Plutôt que d’assister aux intrigues qui règnent dans les assemblées, vous préférez un régime où le plus grand événement peut être amené dans l’ombre en vue d’un coup de bourse ou du succès d’une affaire industrielle. De mieux en mieux. Il faut avouer que j’ai du malheur avec vous. Je vous ai trouvé, depuis que je vous connais, le tempérament essentiellement frondeur (vous voyez comme je vous tiens incapable d’hypocrisie). Il faut que ce soit précisément dans le moment actuel que je vous voie enfin satisfait des choses et des hommes ! Sérieusement, à quoi pourraient aboutir des discussions politiques entre nous ? Nous appartenons à deux ciels diamétralement opposés, nous ne pouvons donc avoir l’espérance de nous convaincre. Or, en fait de questions graves et d’idées neuves il ne faut point discuter avec ses amis quand on n’a pas l’espérance, de les persuader. Nous sommes l’un et l’autre parfaitement logiques dans notre manière de penser. Vous considérez les hommes de nos jours comme de grands enfans très dégénérés et très mal élevés. Et, en conséquence, vous trouvez bon qu’on les mène par des spectacles, du bruit, beaucoup de clinquant, de belles broderies et de superbes uniformes qui, bien souvent, ne sont que des livrées. Je crois comme vous nos contemporains assez mal élevés, ce qui est la première cause de leurs misères et de leur faiblesse ; mais je crois qu’une éducation meilleure pourrait redresser le mal qu’une mauvaise éducation a fait ; je crois qu’il n’est pas permis de renoncer à une telle entreprise. Je crois qu’on peut encore tirer parti d’eux comme de tous les hommes par un appel habile à leur honnêteté naturelle et à leur bon sens. Je veux les traiter comme des hommes, en effet. J’ai peut-être tort. Mais je suis les conséquences de mes principes et, de plus, je trouve un plaisir profond et noble à les suivre. Vous méprisez profondément l’espèce humaine, au moins la nôtre ; vous la croyez non seulement déchue, mais incapable de se relever jamais. Sa constitution même la condamne à servir. Il est très naturel que, pour