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Une décharge des contrebandiers tue ou blesse les uns, et met le reste en fuite. Au cours de ce premier engagement, Mandrin conquiert son fameux chapeau de brigadier, en feutre noir galonné d’or.

Capitaine des contrebandiers, durant cette première campagne, Mandrin portait un habit gris à boutons jaunes, un gilet de panne rouge aux goussets profonds, le chapeau galonné d’or enlevé au brigadier, d’où ses cheveux blond ardent, « annelés » c’est-à-dire bouclés, s’échappaient naturellement, noués sur la nuque en catogan, d’un ruban de linon noir. La ceinture de cuir fut alors remplacée par une ceinture de soie rouge et verte où étaient pris un couteau de chasse et une paire de pistolets. Il quittait rarement son fusil à deux coups.

Jean Bélissard se battit à Curson sous les ordres du jeune capitaine qu’il avait fait lui-même entrer dans sa bande. Mandrin avait à peine vingt-neuf ans.

Ayant appris le lendemain, 8 janvier, qu’un brigadier des Fermes, domicilié au Grand-Lemps, nommé Dutriet, avait exprimé le regret de ne pas s’être trouvé à Curson pour se battre contre lui, il résolut de l’aller trouver au plus vite. Il partit de nuit, suivi de quelques hommes, par un grand clair de lune. Les silhouettes noires des cavaliers couraient sur la neige. Le Grand-Lemps était le siège d’un des plus importans marchés de la province. Mandrin arrive chez Dutriet, enfonce la porte. Le brigadier et sa femme sont tirés de leur lit, ils sont traînés dans la rue. L’homme avait les jambes nues, et la femme était en chemise. Mandrin menaçait Dutriet de lui casser la tête d’un coup de pistolet ; mais la femme pleurait et grelottait dans la neige. Les habitans étaient accourus au bruit, à peine vêtus ; ils tenaient des lanternes. Mandrin sacrait comme un Templier. Il était résolu, disait-il, à mettre le feu au village et à fusiller tout le monde, au moindre mouvement. Cependant, la femme continuait de pleurer, frileuse dans la neige. Alors Mandrin, brusquement, car il était bon diable, lui dit d’aller se remettre au lit, et avec son mari, auquel il se contenta d’enlever ses armes et son cheval, qui se trouvait tout harnaché dans l’écurie.

Cela se passait dans la nuit du 8 au 9 janvier.

Durant les mois qui suivent, on voit les Mandrins parcourir librement les villages et les bourgs du Dauphiné, de la Bresse et du Bugey. Ils débitent ouvertement leurs marchandises de