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ailleurs, c’est ce qu’on ne saurait oublier, — que cette « critique des livres du jour » était « la raison d’être d’une Revue ; » et, toujours préoccupé de « faire passer avant les siennes les convenances » de la « vieille maison » qu’il dirigeait, il aimait à prêcher d’exemple, à « faire l’article » qu’il jugeait utile, et pour lequel il se sentait prêt ; et nul doute que, s’il avait eu un moindre souci de ses devoirs d’état, il n’eût laissé sinon achevées, tout au moins beaucoup plus avancées, les œuvres de longue haleine qu’il avait entreprises. Son œuvre y eût peut-être gagné ; sa mémoire n’y doit rien perdre.

Dans le recueil même qui nous occupe, nous avons de cette disposition d’esprit un exemple assez significatif, et même assez touchant. Ferdinand Brunetière se proposait d’écrire, l’été dernier, avec quelques articles, le troisième fascicule du premier volume de son Histoire de la littérature française classique, dont Montaigne devait, naturellement, occuper le centre. Sur ces entrefaites, parurent le Montaigne de M. Strowski et le tome premier de son édition municipale des Essais. Il aurait fort bien pu, fatigué comme il Tétait et sentant déjà la mort prochaine, — quel est le lecteur de la Revue qui le lui aurait reproché ? — il aurait fort bien pu se contenter de publier ici même son chapitre sur Montaigne, quitte à utiliser, et à signaler en note, ces publications récentes. Mais il y avait là une entreprise intéressante qu’il tenait à présenter au public avec quelque détail, et qui lui paraissait soulever toute sorte de questions bibliographiques et littéraires ; d’autre part, l’auteur de cette édition était un de ses anciens élèves de l’École normale, dont il estimait fort les travaux et le talent, — ses derniers articles ont été presque tous consacrés à des livres de ses anciens élèves, — il n’hésita pas : il fit d’abord un « article, » un véritable article, dont on n’a pas oublié la vigueur de concentration et la haute portée. « Il n’en passera, écrivait-il avec son habituelle allégresse de travailleur, il n’en passera que très peu de pages dans mon Histoire, tout au plus une dizaine, et l’édition de Strowski m’aura valu d’avoir deux Montaigne à écrire cet été. » Le second n’a pas été commencé.

A relire dans leur suite les sept morceaux dont se compose cette série d’Études critiques, — nous voulons espérer que ce ne sera pas la dernière, — il y a une réflexion qui s’impose. Non seulement ces pages, qui datent des derniers mois d’une vie si laborieuse, ne trahissent aucune trace de fatigue intellectuelle ; mais encore elles sont égales, sinon même supérieures à ce que, dans cet ordre d’idées, Ferdinand Brunetière a écrit de plus fort et de plus achevé. Il est en pleine possession de sa méthode, et il la manie avec une aisance, une