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société et, à sa place, en établir une nouvelle, n’était pas une surprise ; on le connaissait d’avance. Rabaud Saint-Etienne, qui n’était pas pourtant tout à fait un fougueux révolutionnaire, l’avait proclamé sans ménagement, dès les premiers jours, quand il disait : « Tous les établissemens anciens nuisent au peuple. Il faut donner aux esprits une autre direction, changer les idées, détruire les usages, renouveler les hommes et les choses, enfin tout recomposer. »

L’Académie était comprise parmi ces « établissemens anciens » qui devaient disparaître. Elle ne se fit aucune illusion sur le sort qui l’attendait. Nous pouvons fixer d’une manière précise le moment où elle comprit et parut accepter ses destinées. Pendant les quelques années qui suivirent cette réception de Condorcet, où fut proclamée la victoire des idées philosophiques, sa popularité parut intacte. Malgré les préoccupations politiques, les réceptions de Guibert, de Florian, de Vicq d’Azyr furent très courues. A propos de celle de Boufflers, qui eut lieu en février 1789, Grimm fait cette remarque « que, quelque fréquentes que soient les séances de l’Académie, elles ne lassent pas l’attention publique. » Le 5 mars, au moment où les États généraux vont se réunir, on procède au remplacement du grammairien Beauzée. Les choses se passent comme à l’ordinaire, et l’abbé de Barthélémy est nommé. Mais tout va subitement changer. Le 18 avril, 15 académiciens en séance au Louvre « apprennent avec douleur, » c’est la formule, que leur confrère, l’abbé de Radonvilliers est mort. Selon l’usage de cette époque, un mois et demi ou deux mois après, c’est-à-dire vers le milieu de juin, l’élection de son successeur aurait dû se faire ; or nous sommes surpris de voir qu’il n’en est question ni alors, ni plus tard, et qu’à partir de ce jour l’Académie a cessé tout à fait de remplacer les membres qu’elle perdait.

Que s’était-il donc passé ? Obéissait-elle, comme on est tenté de le croire, à quelque ordre de l’autorité ? L’ordre, en effet, est venu ; mais seulement deux ans plus tard. L’Assemblée nationale, au mois de juin 1789, avait bien autre chose à faire que de s’occuper des Académies. Elle sortait à peine de sa lutte avec le clergé et la noblesse et achevait péniblement de se constituer. L’Académie s’est donc décidée d’elle-même, et pour qu’elle l’ait fait sans hésiter et si vite, il faut croire qu’elle ne pouvait avoir aucun doute sur les mauvaises dispositions de