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allemands, comme la choucroute et le chou blanc, la salade au lard, le chou frisé, la venaison, dont on ne mangeait presque pas, et les crêpes au hareng saur. C’est moi qui ai mis tout cela à la mode. J’avais appris au feu roi à en manger, et il en mangeait très volontiers. J’ai tellement affriandé ma gueule allemande à la nourriture allemande, qu’il n’y a pas un seul ragoût français que je puisse souffrir. Je ne mange que du bœuf, du veau et du gigot rôtis, du poulet rôti, rarement des perdrix et jamais de faisan. »

L’introduction de la cuisine allemande à la cour de France n’avait été, par malheur, qu’une satisfaction d’amour-propre. Madame n’avait pu faire que notre choucroute, ou nos saucisses, fussent comparables aux produits de son pays. Aussi continua-t-elle jusqu’à son dernier soupir à geindre sur la détestable chère à laquelle l’avait vouée son mariage. Je crains qu’elle ne fût un peu sur sa bouche. A soixante-cinq ans, elle écrivait à sa sœur Louise : « (Paris, 10 décembre 1715.)… Hier, une dame de Strasbourg… m’a donné une terrine de choucroute au lard, avec un canard dedans. Ce n’était pas mauvais, mais les choux étaient des choux français, qui ne valent pas les choux allemands, tant s’en faut ; ils ont moins de goût, et ils sont aussi hachés plus gros ; on n’a pas ici les couteaux qu’il faudrait pour les hacher convenablement. Ce n’était donc pas mauvais, mais j’en ai mangé de meilleure ; je crois que la vôtre valait mieux… » Ces derniers mots font allusion au parti qu’avaient pris les parens ou amis du Palatinat et du Hanovre d’envoyer à la pauvre Liselotte de quoi faire de temps à autre un bon repas.

On se partageait les expéditions ; l’un envoyait ceci, l’autre cela. M. et Mme de Harling[1]s’étaient fait une spécialité de certains saucissons fumés dont Madame raffolait. Ils y joignaient des provisions de pumpernickel, ou « pain noir de Westphalie. » Leurs envois étaient toujours attendus avec impatience. La raugrave Louise était une Providence universelle. Madame en recevait de la choucroute allemande et quantité d’autres gourmandises, telles que de la soupe aux écrevisses, prête à être mangée. En outre, Louise avait toujours les bonnes recettes et savait les bons endroits ; ce fut par elle que les jardiniers du palais de Saint-Cloud eurent enfin des graines de la variété de chou qui

  1. Nous rappelons que Mme de Harling avait été la gouvernante de Liselotte.