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C’est affaire aux économistes de critiquer cette abondante législation, en ce qu’elle a gravement changé les conditions du travail et posé un principe d’intervention dont les conséquences sont indéfinies. Il n’est possible ici que de constater ce grand changement, de remarquer aussi qu’il porte principalement sur l’exercice de la puissance paternelle ; de reconnaître que, si l’Etat est intervenu, c’est faute par cette puissance de protéger assez l’enfant ; de conclure enfin une fois encore que, dans la vie industrielle qui apparut si brusquement, le Code civil est devenu tel qu’une loi étrangère dont les règles ne s’adaptent plus aux faits. Comment laisser au père, à la mère, la charge avec le droit de modérer le travail de l’enfant, alors que les faits de chaque jour révélaient un travail imposé sans mesure, sans discernement, avec la plus dangereuse insouciance de l’âge, des forces, de l’étourderie ou de la témérité ?

On a fait bien plus encore contre la puissance paternelle. Il suffisait de la restreindre quand certains modes de son exercice paraissaient périlleux pour l’enfant. Il fallait arriver à l’abattre, lorsque son principe même créait un danger. Or pour l’enfant abandonné, pour celui dont les parens vivaient dans l’ivrognerie et l’inconduite, la bienfaisance publique ou privée se trouvait paralysée dans ses efforts par la puissance paternelle ; si indignes que fussent ces parens, ils la gardaient intacte : elle leur permettait de reprendre l’enfant quand ils le voulaient ; elle s’opposait en tous cas à ce qu’une éducation régulière lui fût donnée. Par une frappante dérision, l’institution d’ordre public, établie par le Code dans l’intérêt de l’enfant, entravait son salut ou précipitait sa perte. Les rédacteurs du Code n’avaient pas connu cette situation étrange et ils ne l’avaient pas prévue. Théophile Roussel, ici encore, fut l’observateur sagace et l’homme d’action réaliste au meilleur sens du mot.

Il vit que l’enfant courait un danger par la faute de ses parens eux-mêmes et que la famille ne pouvait plus rien, sinon lui faire du mal : il comprit que le choix s’imposait entre le maintien d’un principe juridique et le salut de l’enfant au prix de ce principe. Son choix était fait, celui de tous ceux qui avaient regardé comme lui. La loi qu’il fit voter en 1889 disposa que la déchéance de la puissance paternelle devrait ou pourrait être prononcée suivant les cas à l’égard de parens indignes ou incapables. La déchéance fut de plein droit, et les tribunaux