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et de garde. Il n’est pas exagéré de dire qu’un père de famille, dans ces milieux, un ouvrier d’usine, un habitant des faubourgs de Paris n’a de la puissance paternelle que l’apparence, le nom. La société intervient dès que l’occasion lui est offerte par les mauvais traitemens du père ou de la mère, par leur inconduite, par l’abandon de l’enfant ou les délits qu’il commet : elle est intervenue déjà par l’obligation scolaire qui n’est point acceptée sans répugnance, de même que par la réglementation du travail. Il faut bien qu’elle supplée la famille qui ne fait rien de ce qui était sa tâche nécessaire. Il n’est plus temps de discuter la théorie abstraite de l’intervention. Il faut constater que cette intervention a été provoquée par les hommes les mieux éclairés sur les périls de l’enfant, et que sous toutes les formes qui lui ont été données, elle a été bienfaisante. Sans doute on dira très justement qu’elle ruine la puissance paternelle et qu’elle achève de dissoudre le groupe familial, puisque ce n’est plus le père mais la loi qui protège, surveille et corrige l’enfant. Mais la loi n’est intervenue que parce que la famille ne faisait plus son office. C’est la ruine de la famille qui a été le mal initial auquel il était du devoir de l’Etat de remédier. Ce ne sont pas des lois, ce n’est pas l’action énergique d’hommes tels que Roussel, M. Bérenger et tant d’autres qui ont abattu la puissance paternelle. C’est l’influence irrésistible de phénomènes universels et d’un courant qui a passé à travers le monde.

Ainsi la question posée au début de cette étude trouve une réponse pareille dans les différens milieux. Le grand mouvement qui s’est fait depuis une trentaine d’années en faveur de l’enfant coïncide avec un affaiblissement du groupe familial ; l’un et l’autre procèdent des mêmes causes qui les font se précipiter ensemble et réagir l’un sur l’autre : parce que la famille s’affaiblit, il est plus nécessaire d’agir pour l’enfant, et ce qu’on fait pour lui diminue nécessairement, avec l’autorité des parens, la force du groupe traditionnel. Il ne servirait de rien de regretter le passé. Il faut regarder vers l’avenir. Quand les destinées de l’enfance sont en question, ce n’est point un divertissement, c’est un devoir. Où va-t-on ? Quelles tendances préparent cet avenir ?

Tous les faits de chaque jour montrent que nous sommes au plus fort de l’évolution qui s’est révélée dans la seconde moitié du dernier siècle : chaque jour la morale de l’individualisme accuse une puissance plus forte, et la vie industrielle s’étend, le