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du pair les actions des sociétés dont le capital avait été consacré à l’acquisition de domaines ruraux dont la plus-value était considérable. Quant aux terrains de construction, ils enchérissent depuis vingt ans avec une rapidité encore plus grande que les terrains ruraux, pour des raisons faciles à déduire et que nous indiquerons plus loin. Ces compagnies devenaient donc chaque année plus riches à mesure que leur fonds social augmentait de valeur et leur cote devait naturellement s’améliorer aussi. Mais, pour quelques-unes, la mesure fut énormément dépassée.

Les esprits aventureux qui croyaient à la continuation indéfinie de la plus-value du sol d’Alexandrie et du Caire, ne se contentaient pas de spéculer sur les titres des sociétés immobilières. Ceux qui disposaient de ressources suffisantes achetaient des parcelles payables, une faible fraction comptant, le surplus par annuités ; puis ils s’efforçaient de les revendre avant la première échéance à un sous-acquéreur, et ainsi de suite. La parcelle passait ainsi de main en main avec la même rapidité qu’une lettre de change, réalisant, à chaque transaction, une nouvelle plus-value, gagnant, dans certains cas, quatre et jusqu’à cinq cents pour 100 en deux ou trois ans.

Cependant le coton n’était pas négligé ; il conservait sa clientèle d’acheteurs ou de vendeurs à terme auxquels il offrait un procédé, plus rapide encore que la spéculation sur les valeurs, de gagner de grosses différences.

Des fortunes s’improvisèrent ainsi dont l’histoire, amplifiée, embellie, devenue fabuleuse, faisait rêver les têtes les plus solides et prendre en dégoût le métier régulier et sûr, mais modeste et sans avenir : tel colporteur mué en puissant financier ; tel ancien cocher maintenant multimillionnaire ; tel terrain acheté quelques sous, il y a un lustre ou deux, et récemment vendu 500 francs le mètre. Durant les deux ou trois dernières années, des traits de ce genre alimentaient toutes les conversations. La « Revue de la Bourse » ou la « Chronique immobilière » garnissaient chaque jour leurs deux ou trois meilleures colonnes.

Ceux qui profitèrent le plus de cette manie d’agiotage furent naturellement les intermédiaires. En Orient, toute transaction nécessite un ou plusieurs courtiers. Pour acheter, louer, se marier, il faut être, non seulement deux au moins, mais trois. Et ces officieux ne font jamais défaut à qui en a besoin. Tout Levantin se sent invinciblement attiré par ce rôle brillant où il