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mission sur la frontière, était là, l’œil au guet, à côté de son fidèle auxiliaire, le colonel de La Morlière, commandant des argoulets.

Mandrin s’occupait activement des derniers préparatifs pour sa prochaine incursion en France, recrutant et exerçant ses hommes, achetant des chevaux. Le 4 mai 1755, il était à Carouge, où il recevait livraison de vingt-cinq chevaux ; les 7 et 8 mai, il paraissait aux foires de Romilly et de Saint-Félix en Savoie ; le 9 mai, sur les quatre heures de l’après-midi, par une pluie battante, il arrivait avec l’un de ses camarades, Saint-Pierre le cadet, au château de Rochefort-en-Novalaise, en Savoie, à une petite lieue de la frontière française que traçait le Guiers-Vif. Mandrin boitait, son cheval lui étant tombé sur la jambe.

La Morlière fut instruit de l’arrivée de Mandrin au château de Rochefort, par une dénonciation émanant d’un ecclésiastique, dont le nom est demeuré inconnu. On tient le détail de La Morlière lui-même, qui en écrit au ministre de la Guerre, en lui transmettant même une phrase de la lettre que l’ecclésiastique en question lui a adressée : « Prenez garde à ce point : la femme fermière du château est l’amie de Mandrin et doit avoir son argent. Surtout, ne laissez sortir personne : les domestiques vous instruiront de tout. »

La légende, d’après laquelle Mandrin aurait été trahi par une dame de château, sa maîtresse, qui l’aurait livré une nuit où il serait venu la voir, ne repose sur aucun fondement ; mais on en voit ici l’origine.

« L’on ne vaincra et l’on ne saisira jamais Mandrin en France, » écrivait le marquis de Ganay, gouverneur d’Autun. Voici l’audacieuse violation du droit des gens que le colonel de La Morlière se chargea d’exécuter.

Dans la nuit du 10 au 11 mai 1755, sur les onze heures, une troupe de cinq cents hommes environ, pour la plupart des volontaires de Flandre, c’est-à-dire des argoulets, et pour une partie des « employés » des Fermes, c’est-à-dire des gâpians, se rassemblèrent sur la rive française du Guiers-Vif. C’était à une demi-lieue en aval du Pont-de-Beauvoisin, au lieu dit le Pilon, à la hauteur d’Avaux, côté France (paroisse de Romagnieu). Cet endroit, où le Guiers-Vif est guéable, se nommait aussi « la Rive. »