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III. — LES DIFFICULTÉS AVEC LA COUR DE SARDAIGNE[1]

L’arrestation de Mandrin au château de Rochefort, sur les terres du roi de Sardaigne, avait produit, non seulement en Savoie, mais dans toute l’Italie, une émotion qu’il est facile d’imaginer. Le chevalier de Chauvelin, ambassadeur de France à Turin, auprès de Charles-Emmanuel III roi de Sardaigne, est submergé sous des flots de protestations, de représentations, de récriminations. Pour diplomate qu’il soit, il en perd son assurance. A Paris, le comte de Sartirane (en italien Sartirana), ambassadeur sarde auprès de Louis XV, adressa immédiatement à Rouillé, secrétaire d’État pour les Affaires étrangères, une protestation contre cette « violation énorme » des droits de souveraineté attachés à la couronne de son maître. Il en demandait une réparation légitime, et, avant toute chose, la restitution des contrebandiers arrêtés.

Les ministres français avaient prévu l’orage, sans croire qu’il se déchaînerait avec une telle violence. Pour se défendre, ils avaient inventé une première version de l’affaire : « Les contrebandiers réfugiés en Savoie, disaient-ils, se sont disputés sur la frontière pour le partage de leurs « vols, » et ceux qui composaient le parti le plus faible, Mandrin et ses amis, se sont rejetés en France, où les employés des Fermes se sont emparés deux. » La réplique indignée du gouvernement sarde obligea la cour de Versailles d’imaginer une seconde version. Le comte de Sartirane apprit donc que les employés des Fermes, spontanément, sans ordres de leurs supérieurs, avaient pris sur eux de s’en aller en Savoie tirer vengeance de tant de duretés que les contrebandiers n’avaient cessé de leur faire subir. Voilà la vérité, disait Rouillé, et il niait formellement que des officiers du Roi eussent été mêlés à l’affaire. Quant à cette initiative des directeurs des Fermes, elle était désapprouvée, et déjà, sans attendre la réclamation de la cour de Turin, le roi de France avait fait incarcérer quatre d’entre eux au château de Pierre-Encise, près de Lyon. De fait, les quatre directeurs des Fermes, que nous

  1. Les pages qui suivent utilisent les documens conservés dans les Archives de Turin, et cités par A.-D. Perrero, L’arresta in Savoia del capo-contrabbandiere Luigi Mandrin dans Curiosità e ricerche di Storia subalpina (Turin, 1882), et les documens inédits conservés à Paris dans les Archives des Affaires étrangères.