Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 41.djvu/321

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avons vus accompagner Iturbi de Larre au château de Rochefort, venaient d’être conduits à Pierre-Encise en grand apparat.

Déjà les Anglais préludaient à la guerre prochaine par des hostilités sur mer. Il était important de se concilier le gouvernement sarde qui était capable, par la position de ses Etals, de causer de graves embarras au roi de France. L’affaire Mandrin arrivait on ne peut plus mal à propos.

Le secrétaire d’Etat de Charles-Emmanuel III pour les Affaires étrangères, le chevalier Ossorio, était un esprit très fin, cultivé, habile à percer les intrigues, diplomate de l’ancien temps. Chauvelin a laissé une relation détaillée de l’entrevue qu’il eut avec Ossorio, le samedi 24 mai 1755, quand il alla lui transmettre la version officielle de l’équipée de Rochefort, que venait de lui communiquer le cabinet de Versailles. Le ministre sarde l’écouta attentivement, puis, après un moment de réflexion :

— Votre gouvernement ne fait mention que des employés des Fermes ; cependant les différentes relations qui nous sont parvenues portent que les dragons de La Morlière, et même des officiers déguisés, étaient mêles avec les commis.

« De plus, poursuivait Ossorio, l’emprisonnement des quatre capitaines des Fermes est une peine peu proportionnée à l’attentat. »

Ossorio y voyait clair. Cet emprisonnement était une « frime, » pour reprendre l’expression même du marquis d’Argenson :

Ossorio exigeait : 1° la punition effective des coupables ; 2° le dédommagement des pillages, la restitution des effets volés, une indemnité aux veuves et aux enfans des victimes ; 3° enfin, et surtout, la restitution des contrebandiers arrêtés illégalement sur le territoire du roi de Sardaigne.

« Toute l’Europe, disait-il, a les yeux ouverts sur cet événement et sur la manière dont il se terminera. »

La cour de France commençait à comprendre que la comédie de l’incarcération à Pierre-Encise des quatre capitaines des Fermes ne produisait pas un effet suffisant. Pour calmer l’irritation de Charles-Emmanuel III, les ministres français, Rouillé, Argenson et Moreau de Séchelles, se décidèrent à tirer Louis XV de sa torpeur coutumière, pour lui faire écrire, de sa propre main, à son bon frère et oncle, la lettre suivante :