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avec empressement la satisfaction qui, seule, peut constater et rendre réel le désaveu de cet attentat. Les souverains seraient en butte aux violences de leurs voisins plus puissans qu’eux, s’il suffisait de désavouer verbalement une entreprise visiblement contraire au droit des gens, et si les effets ne devaient nécessairement confirmer les paroles. Il n’y a qu’un genre de satisfaction proportionné à l’outrage, hors duquel tout le reste est insuffisant et illusoire : la restitution de Mandrin et de ses camarades. »

Au moment où le ministre sarde prononçait ces paroles, Mandrin et Saint-Pierre étaient suppliciés depuis plusieurs jours. Le bruit s’en répandit à Turin au commencement de juin, et l’irritation en fut portée à son comble. « Cette exécution fut généralement tenue pour un mépris et un affront plus grands que l’attentat lui-même, » écrit l’ambassadeur français.

Chauvelin est informé que le chevalier Ossorio et le premier président du Sénat de Turin ont été mandés en hâte chez le Roi. Le 7 juin, le malheureux diplomate apprenait le résultat de la conférence : le chevalier Ossorio lui faisait savoir que le roi de Sardaigne désirait qu’il se dispensât de paraître désormais à sa Cour. Charles-Emmanuel III mettait le représentant de Louis XV à la porte de chez lui.

A Versailles, comme bien l’on pense, Louis XV ignorait l’expédition de Rochefort. Quand il fut appelé à écrire au roi de Sardaigne la lettre que l’on vient de lire, il n’eut pas de peine à comprendre que ses ministres lui cachaient quelque chose de grave. Il exigea d’eux la vérité et le détail de l’affaire. Et le contrôleur des Finances, très ennuyé, dut lui raconter la belle aventure où son autorité avait été compromise. Avec son intelligence ouverte et son jugement très droit, Louis XV mesura la situation. Il vit que, si l’on continuait à se tenir dans les voies où les fermiers généraux traînaient le gouvernement français, on aboutirait aux pires complications. Déjà la France avait d’assez grandes difficultés sur les bras. Le Roi ordonna au Contrôleur général d’envoyer immédiatement au président de la Commission de Valence l’ordre de surseoir à l’exécution des contrebandiers, et le contrôleur prit sa plume avec d’autant plus d’empressement qu’il savait que Mandrin aurait été supplicié à l’heure où le courrier emporterait sa missive.

Aussi bien, avec une rapidité inquiétante, les événemens