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et il me semble qu’il y a peu de carrières où l’on puisse les employer aussi utilement et aussi noblement que dans la sienne, et sans nuire à sa grande et première vocation, celle d’élever les âmes à Dieu par sa belle poésie. » Elle lui faisait toutes sortes de recommandations, dont la première était « de ne pas trop se laisser aller à cette excessive réserve qui lui est naturelle. » D’ailleurs, elle comptait sur sa bonne grâce et sur son éloquence pour le faire bien accueillir de tout le monde.

Soudain éclate une tragique nouvelle. On jugera de l’émoi où elle mit toute la famille, par cette lettre du 1er mars 1826 : « Oh ! mes enfans, quel événement ! Et quelle révolution m’a fait éprouver votre lettre ! Je ne peux pas encore m’y appesantir sans frémir. Faut-il louer, faut-il blâmer cette terrible action ? Les jugemens de Dieu, sont souvent si contraires à ceux des hommes ! Et, dans cette circonstance, ils me paraissent si décidés ! Mais je ne suis pas là pour juger ; j’y suis pour remercier cette divine Providence, pour me prosterner à ses pieds, soit en expiation, soit en action de grâces. Quels affreux dangers nous avons courus ! Et j’étais tranquille dans ce moment-là ! Et vous, mon héroïque Marianne, saviez-vous tout ? Comment avez-vous vécu pendant cette attente ? Quant à toute la noblesse, la générosité de la conduite d’Alphonse, je le reconnais bien là, et cela ne m’étonne pas du tout. Mais n’y avait-il pas d’autre moyen qu’un… En vérité, je ne puis dire ce terrible mot, tant il m’a toujours fait frémir ! Votre pauvre père et votre oncle sont comme moi, heureux que tout soit terminé, et combattus entre l’honneur de ce monde et les maximes de l’Evangile, si rarement d’accord… Adieu, mes trop chers enfans. Oui, ma Marianne, vous saviez tout ; je le vois par votre précédente lettre. Quelle âme que la vôtre ! » Le terrible événement auquel cette lettre fait allusion est le duel que venait d’avoir Lamartine avec le colonel Pepe, à propos des deux vers de Childe Harold, où le futur secrétaire d’ambassade à Florence avait eu l’imprudence de qualifier le peuple italien de « poussière humaine. » Tant d’affaires, sommes-nous tentés de dire, pour la plus banale des rencontres ! Tant d’émoi pour une piqûre ! Mais c’est la piété d’une mère chrétienne qui s’alarme. Cette lettre nous renseigne mieux qu’aucun document sur l’atmosphère religieuse où Lamartine avait été élevé et à laquelle, tant que sa mère vécut, il n’échappa jamais complètement.