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poète qui faisait si belle figure dans les cours princières, commençaient à être fiers de leur grand homme ; ils le fêtaient chaque fois qu’il venait passer parmi eux son congé de diplomate. La mère de Lamartine conte à ce sujet une charmante anecdote : « Il y avait jeudi un jeune homme qui était dans un enthousiasme à perdre la tête. Il ne savait comment faire pour voir Alphonse. Il était venu plusieurs fois à la porte de la maison, sans oser sonner ; quand il passait devant, il était son chapeau et quand on lui demandait qui il saluait, il disait : « Je salue la demeure de Lamartine. » Enfin on m’a demandé la permission de l’amener à l’assemblée. Il était transporté. Alphonse lui a dit quelques vers, ce qui a été le complément de son bonheur. Il disait : « Je le savais par cœur, je voulais le voir, je l’ai vu et je l’ai entendu ! Cette soirée sera l’époque la plus mémorable de ma vie. »

Il n’y avait qu’une ombre à ce tableau si séduisant : la question d’argent. C’était, pour la mère, — qui se souvenait et qui prévoyait, — le grand sujet d’inquiétude, l’empoisonnement de tout son plaisir. A la mort de son oncle l’abbé, survenue en 1826, Lamartine avait hérité du beau domaine de Montculot. Il avait, contre l’avis de toute la famille, voulu le garder. Et tout de suite il s’était mis à le réparer : « Ces grands bois de Montculot, ce beau château ; tout cela me fait bien peur, je ne veux pas y penser. » Mais le moyen ? Lamartine ne venait-il pas d’acheter une maison à Florence, d’y mettre les ouvriers, et, pour faire face à cette nouvelle folie, n’était-il pas obligé d’emprunter ? Cela, au moment où il songeait à quitter non seulement la Toscane, mais la « carrière ! » Ce projet de démission était le seul où la mère eût bien de la peine à s’accorder avec son fils. Elle feignait de baisser pavillon. « Je partage, je t’assure, écrivait-elle en 1828, ta manière de voir relativement à recommencer le métier de secrétaire d’ambassade. Je conviens qu’à ton âge, et de la manière dont tu es placé dans la société, ce n’est guère plus convenable. Seulement il est fâcheux, si tu ne peux pas espérer sans cela d’être ministre un jour à Luques ou à Florence. Mais à la grâce de Dieu ! J’ai besoin de pratiquer la première le conseil que je donne souvent de s’abandonner à la Providence, sans vouloir trop prévoir l’avenir. » C’est ainsi que, de Mâcon à Florence, l’entretien se poursuivait. On continuait de vivre dans la même intimité qu’autrefois. Et tel est le