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ment senti, entre l’ordre social et l’établissement politique. Si, plus ou moins obscurément aussi, c’est le Parlement que l’opinion déçue rend responsable des faillites dont elle se plaint, la faute en est à lui, qui, en absorbant tout, en annonçant tout et en amorçant tout, s’est condamné à démontrer l’impuissance de sa toute-puissance. Quelque impuissant qu’il fût, il n’a pas cessé d’usurper : il a gouverné au lieu du gouvernement, administré au lieu de l’administration ; le Parlement, c’est-à-dire une des deux Chambres, la Chambre des députés, après qu’elle eut paralysé le Sénat pendant un temps, le temps de tirer à elle à peu près tout le pouvoir législatif ; et, avec la somme de ce pouvoir, avec l’administration, avec le gouvernement, il lui arrive encore de vouloir davantage, et de mordre tout autour d’elle. Le Président de la République, annulé ou presque, n’en peut mais ; les ministres, occupés de vivre et à vivre, se résignent à perdre tout pour garder ce qu’ils ont ; et, sur ce chemin qui ne saurait mener qu’à la tyrannie ou à l’anarchie, ou aux deux ensemble, nous en sommes venus, le gouvernement étant amoindri, aplati, écrasé par ce contre-gouvernement débordant et hypertrophique, où nous en devions venir, à « l’accablant, meurtrier et mortel Gouvernement du Pas-de-Gouvernement. »

Pour qu’une pareille anarchie se soit comme assise à demeure dans nos institutions, et pour que nous puissions l’y souffrir, il faut que nous en portions les germes en nous-mêmes, dans nos cervelles[1]. On ne dénoncera jamais assez l’espèce de débilité mentale, ou de paresse intellectuelle, qui nous fait recevoir comme paroles d’évangile les soi-disant philosophiques niaiseries que nous débite depuis un siècle l’hypocrisie maçonnique. On ne nous mettra jamais assez en garde contre cette adoration, cette divinisation, cette idolâtrie, ce fétichisme de « la Démocratie, » avec un grand D, qui prétend faire d’elle une sorte de magie, grâce à laquelle le monde et l’homme seront subitement transfigurés. On ne se méfiera jamais assez, on ne nous apprendra jamais assez à nous méfier de ce qu’il y avait de spécifiquement anarchique dans la Déclaration des droits que nous donnions pour charte fondamentale au régime moderne. À force de dire

  1. J’ai jadis longuement tenté d’expliquer par quelles voies elle s’y est introduite. Voyez Sophismes politiques de ce temps, Étude critique sur les formes, les principes et les procédés de gouvernement, 1893, in-16, Perrin ; la Vie nationale, — la Politique, 1894, in-8o, Léon Chailley.