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et de croire qu’une certaine forme de gouvernement, étant par elle-même libérale, ne peut produire que des fruits de liberté, on s’est tout permis ; à force de dire et de croire que la liberté n’a pas de limites, ou qu’elles peuvent être presque sans terme reculées, qu’il n’y a presque rien d’interdit à l’individu, ou qui doive l’être, on a usé, on a miné l’État, on en a corrodé la substance, on en a détruit le sens.

Mais, par opposition, à force de dire et de croire que la majorité peut tout parce qu’elle est le nombre, qu’il n’y a presque rien dont elle ne soit capable, on a exalté jusqu’à la superstition la foi héréditaire du Français en l’État. De même que l’équilibre a été rompu entre les fonctions de cet État et ses organes, de même on l’a perdu, ou on ne l’a pas trouvé, entre ces deux extrêmes : la fin de l’autorité, qui aboutit au despotisme, la fin de la liberté qui aboutit à l’anarchie. C’est là, vers l’anarchie, que nous portait aussi le goût irraisonné d’égalité, d’une égalité absolue, qui n’est peut-être chez nous que la haine ou l’impatience des supériorités. Si bien que les seules catégories sous lesquelles notre cerveau pût concevoir les relations des hommes en société et la position réciproque des citoyens dans l’État étaient, selon les cas, ou, comme je l’ai dit, tout ensemble, la tyrannie et l’anarchie, une anarchie dormante, déliquescente, sous une tyrannie à mille têtes, — et plût à Dieu que ce fussent des têtes !

Depuis 1895, la descente a été rapide, et depuis 1900, foudroyante. D’avoir été les prophètes de ces malheurs, il n’y aurait pas de quoi se vanter ; mais enfin, s’ils n’en pèsent pas moins sur nous, ils ne nous ont pas surpris[1]. Qu’on me pardonne de transcrire sans phrase, en forme de notes toutes brèves et toutes sèches, sous trois ou quatre titres : le Suffrage universel, le Parlementarisme, la Confusion des pouvoirs, l’Anarchie, le résumé des observations que bien d’autres auront dû faire au jour le jour.

1o Le suffrage universel. — Le suffrage universel inorganisé étant atomique, anarchique, l’État moderne n’est pas construit. La captation en est facile par des comités, qui ne sont que des sociétés d’exploitation, composées de manœuvres au rabais et

  1. Voyez la Crise de l’État moderne, — l’Organisation du suffrage universel, 1897, in-8o, Didot ; l’Organisation de la démocratie, 1900, in-18, Perrin ; Un programme, et la Réforme parlementaire, 1902, in-16, Plon et Nourrit. La plupart de ces études ont paru d’abord dans la Revue même.