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comme sans le sentir, au « trottoir roulant » des faits quotidiens ; manquant les occasions, ne les connaissant pas, n’osant pas les saisir, n’ayant ni prévision devant les difficultés, ni courage devant les responsabilités ; allongeant pitoyablement jusqu’aux plus hauts sommets cette échelle d’incompétences qui monte d’en bas, dans un ordre ou plutôt dans un désordre de choses où l’on professe que « tout le monde est bon à tout, » et que tout est bon pour tout le monde. Telle est la déformation, la caricature latine et française du parlementarisme : un mélange indigeste qui n’a rien de positif, rien d’historique, rien de traditionnel, rien de national ; un bizarre assemblage de représentation à base individualiste et d’a priorisme philosophique, avec un peu de coutume anglo-saxonne ; un encombrant et bruyant ustensile descendu du grenier où l’on croyait que les peuples modernes avaient remisé le bric-à-brac romantique. Machine à broyer de vagues généralités en une pâtée de mots que le bon électeur, bras croisés et yeux clos, a longtemps gobée comme mouches, mais qui commence à lui écorcher le gosier. Cette viande commence à lui paraître creuse. Il commence à se lasser d’étreindre des ombres. Il commence à flairer le grand mensonge de la parole publique. « Solidarité, » « fraternité, » et autres étiquettes « en  » de vertus abstraites, où ressuscite la pleurarde, la déclamatoire « sensibilité » du XVIIIe siècle, commencent à le laisser aussi froid que la glace d’égoïsme naïvement et platement jouisseur qu’elles recouvrent. « Je tuerai le parlementarisme par les Parlemens, » disait machiavéliquement Bismarck. Il se pourrait que, sans tant de manières ni de malice, certains parlementaires fussent en train de tuer le parlementarisme.

3o La confusion des pouvoirs. — Peu à peu s’est glissée, s’est coulée en nos veines l’anarchie sans violence, dans la paix habituelle et relativement assurée de la rue. Elle s’y est glissée soit à cause des excès et des injustices du pouvoir central ; de ses excès : comme il n’est point, chez nous, de « corps intermédiaires » qui s’interposent entre l’État et l’individu, le premier tend à écraser de sa masse le second qui, en revanche, tend à se dégager et à s’affranchir du premier ; de ses injustices, car ce pouvoir central, infecté du plus grossier et du plus bas esprit de parti, s’est montré trop impudemment caressant aux uns, aux autres tracassier, la main ouverte ou le poing fermé selon les opinions affichées, supposées, prêtées, et selon les personnes ; soit, et bien