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avec celui-là, toute cette anarchie, toute cette jacquerie, ce sont « les amis » du gouvernement. Et, comme on ne peut pas douter, puisque le gouvernement le dit et l’écrit, que de telles bandes ne soient composées de ses amis, c’est de lui alors qu’il faut douter ; est-ce bien un gouvernement[1] ?


Non, ce n’en fut pas un. Des trois fins essentielles qui s’imposent à tout gouvernement, et de toute forme, monarchique ou démocratique, aristocratique ou populaire : assurer la stabilité et la durée de l’existence nationale ; assurer la grandeur et le respect de la dignité du pays ; assurer, de la part des citoyens, une commune et égale obéissance aux lois, M. Combes ne mit qu’un médiocre souci à remplir les deux premières, et, quant à la troisième, il mit même une espèce de point d’honneur singulier à ne pas la remplir. Rendons toutefois hommage à ce Sixte-Quint qui n’a jamais tout à fait lâché ses béquilles. Son système, pour notre infortune, a survécu à sa personne. Il établit si solidement sa domination que jamais M. Rouvier ne put reprendre et tenir en main ses préfets. M. Combes parti, ils louchaient encore vers lui, comme s’il allait revenir. Il fit école, puisqu’on dit : « le combisme, » et il conquit la grande popularité, puisqu’on l’appela « le petit père. » C’est à quoi travaillèrent pour lui ses défauts autant que ses qualités, car il eut tout au moins des qualités faites de ses défauts, et, entre toutes, cet entêtement mêlé de souplesse, ou cette souplesse mêlée d’entêtement, cette opiniâtreté à faire vouloir, cette ductilité à se faire vouloir.

À sa retraite, le contraste fut saisissant : M. Rouvier, plus brillamment doué, taillé pour la lutte, à en juger par les coups de poing dont il martelait sans répit sa large poitrine, et par les furieux défis de sa voix tonnante, ne voulut ni ne fit vouloir, voulut ce qu’il ne voulait pas, ne voulut pas ce qu’il voulait. Il ne voulait pas la séparation des Églises et de l’État, et il la fit ; il ne voulait pas l’exécution sanglante des inventaires, et il s’y prêta ; il ne voulait pas l’indiscipline dans la flotte, dans les arsenaux, dans les régimens, dans les administrations, et il la toléra ; il ne voulait pas l’abandon de l’intérêt du Trésor par le rétablissement du privilège des bouilleurs de cru, et il l’accepta. Il nourrit l’anarchie de tout ce qu’il ne voulut point. Qu’y pouvait faire M. Sarrien ? Rien. Ainsi fit-il : ni mal, ni bien. Ce-

  1. Voyez, dans la Revue du 15 octobre 1904, l’article qui a pour titre : le Ministère perpétuel.