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Orient immuable, qui a regardé de loin, sans en être ébranlé, toutes les révolutions de l’Occident, ce sont les affaires, et en particulier les chemins de fer, qui sont en train de le métamorphoser.


I

C’est Beaconsfield qui, pour faire pièce à la Russie, a introduit l’Allemagne dans la politique orientale[1]. Mais la situation qu’elle a conquise d’un seul coup par le prestige de sa puissance et de ses succès, elle l’a gardée et agrandie grâce à la prodigieuse transformation économique qui a juxtaposé, à la pauvre, agricole, forestière et féodale Allemagne de l’Est, une Allemagne riche, industrielle, maritime et démocratique. Le fameux mot de Bismarck sur la question d’Orient et « la solide charpente d’un grenadier poméranien » est une opinion de ministre prussien, non de chancelier d’Empire. Depuis le congrès de Berlin, les hommes d’Etat allemands n’ont pas cessé de s’intéresser aux affaires du Levant ; mais c’est avec Guillaume II surtout que l’Orient est devenu l’objet principal des grands desseins de la politique impériale. Ce changement si soudain n’a été ni le résultat du hasard des circonstances, ni l’effet du caprice d’un souverain ; la diplomatie allemande s’est réglée sur les besoins de l’Empire : à mesure que l’Allemagne devenait un grand pays industriel, commerçant et exportateur, elle s’est appliquée à chercher des débouchés pour sa production, des commandes pour ses usines, des affaires pour ses banques.

Poussée russe vers Constantinople et les Détroits, descente autrichienne vers Salonique, résistance de l’Angleterre protectrice de l’intégrité de l’Empire ottoman, influence française si fortement assise sur des traditions séculaires, sur l’amitié des Sultans et sur la confiance des populations chrétiennes, que les événemens de 1870 l’avaient à peine ébranlée : ainsi se résumait la politique orientale. L’Allemagne, en y entrant, la transforma ; elle inaugura, politiquement et économiquement, des méthodes nouvelles. Arrivée à l’impérialisme à un moment où, dans ce prodigieux allotissement du monde qui restera le fait capital de la fin du XIXe siècle, les bonnes places étaient prises et les

  1. Voyez notre article du 15 septembre 1906, L’Évolution de la question d’Orient.