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concetti qui rattache le vénérable doyen des romanciers anglais à Barbey d’Aurevilly autant et peut-être plus qu’à Stéphane Mallarmé !

Pour accentuer son tour de force, M. Hewlett a donné à ce récit, infiniment raffiné, un sujet simple, banal, et assez répugnant. La petite-fille de l’une des dames les plus fières de l’aristocratie anglaise, — en 1809, sous le règne de George III, — s’éprend d’un jeune garçon boucher, qu’elle a vu assénant un coup de poing, dans la rue, à son oncle, lord Morfa. Ou plutôt ce n’est pas de ce garçon boucher qu’elle s’éprend, — bien qu’elle lui ait trouvé, tout de suite, un air magnifique, mais d’un amant mystérieux qui, chaque matin, durant des mois, lui fait parvenir un bouquet de violettes blanches. Un beau jour, la noble jeune fille s’aperçoit qu’elle aime, irrésistiblement, l’inconnu qui lui envoie ces fleurs : sur quoi David Vernour, le boucher, se fait connaître, et elle se donne à lui corps et âme, et annonce à sa grand’mère qu’elle va l’épouser ; et lorsque le galant et héroïque boucher est expose au pilori, pour avoir pris part à une émeute socialiste, la petite-fille de lady Morfa, courtisée par le prince de Galles, sollicitée en mariage par tous les ducs et marquis des trois royaumes, va s’installer au pied du pilori, afin de partager le déshonneur de son fiancé. Telle est, exactement, toute l’histoire que nous raconte M. Hewlett, avec sa banalité romantique, sa grossièreté, et son invraisemblance : et c’est à cette histoire qu’il a su prêter un charme extraordinaire d’élégance à la fois mondaine et poétique, par l’insinuante souplesse de sa narration, l’éclat chatoyant de ses peintures, et l’agencement délicat, sans cesse nuancé et varié, de sa phrase. Dépouillé de son ornementation extérieure, son roman apparaîtrait d’une pauvreté pitoyable : car les défauts de l’intrigue n’y sont pas même compensés par une analyse vivante des caractères, ni par la reconstitution pittoresque d’une époque ou d’un milieu social ; mais l’autour, avec une maîtrise incroyable de prestidigitation, nous suggère l’illusion de trouver dans son livre tout cela, qui y manque.


IV

Beaucoup plus jeune que M. Meredith et que M. Hardy, M. Rudyard Kipling est cependant, lui aussi, un vétéran du roman anglais, et dont l’œuvre semble bien être désormais