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directions. Elle a trouvé sa voie et s’y lance allègrement. Le succès de presque toutes les pièces récentes est un succès pour elle. Nous assistons à une triomphante rentrée en scène de la comédie de genre. MM. de Flers et de Caillavet se sont tout de suite placés au premier rang de ses plus habiles fournisseurs.

On n’attend pas que j’analyse l’Amour veille. Ces pièces légères perdent à être analysées le meilleur de leur attrait. D’ailleurs, tous les journaux en ont abondamment rendu compte ; et c’est ce qu’on gagne à parler des pièces après tout le monde : on n’a qu’à faire appel aux souvenirs du lecteur. Donc, chacun sait qu’une jeune fille très moderne, Jacqueline, s’est jetée à la tête d’un bellâtre, André de Juvigny. Celui-ci, à peine marié, retourne chez une ancienne maîtresse, Lucienne de Morfontaine. Dépit de Jacqueline. Elle connaît son théâtre contemporain ; elle a lu, — peut-être même du temps qu’elle était jeune fille, — Francillon et Amoureuse. Une femme a toujours une vengeance toute prête, et un amoureux avec qui perpétrer cette vengeance. Pour Jacqueline, ce complice, tout indiqué, ne peut être qu’Ernest Vernet, jadis candidat à sa main, et qui n’a pas cessé d’être épris d’elle. Donc Jacqueline se rend chez Ernest avec les intentions les plus coupables. Mais cet Ernest est gauche, il est timide, il est ridicule, et Jacqueline aime son mari ! L’amour « veille ; » il préserve d’une chute la jeune femme ; et le ménage sort de cette crise plus uni que jamais. Heureuses brouilles, sans lesquelles on ne connaîtrait pas le délice des raccommodemens !

Essayons plutôt de déterminer les caractères de la comédie de genre à la date de 1907 : nous les trouverons réunis dans l’Amour veille, comme dans un spécimen accompli. Le premier en est la gaieté. Tout dans cette comédie est agencé en vue de nous rappeler sans cesse que nous sommes ici pour nous amuser. Les auteurs ont eu recours à des moyens d’un emploi sûr et d’un usage garanti. Le spectacle de la timidité nous met en joie ; personne ne saurait dire pourquoi ; mais les causes du rire sont mystérieuses. Labiche a intitulé un de ses chefs-d’œuvre : les Deux timides. Le timide de MM. de Flers et de Caillavet en vaut deux. De même, le savant, ou l’homme d’étude, à la scène, est toujours ridicule. Souvenez-vous du Monde où l’on s’ennuie ! Encore y a-t-il lieu d’établir une distinction. Un vieux savant peut nous plaire, à condition qu’il incline à la gaudriole et se repente de n’avoir pas connu la joie de vivre. Mais un jeune savant est deux fois un sot. Et c’est bien pourquoi le jeune Ernest Vernet ni n’entre, ni ne sort, ni ne parle, ni ne se tait, ni surtout