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du doute, et nous avions dû laisser sa mémoire chargée des actes de cruauté et de tyrannie qui avaient signalé sa prise du pouvoir.

Tout ce qu’on peut soutenir, — et je ne sais si c’est diminuer ou aggraver sa culpabilité, — c’est qu’il était né avec certaines qualités que l’ambition étouffa en lui. Si son droit avait été légitime et s’il avait pu monter sur le trône sans usurpation et sans violence, il n’eût été, j’imagine, ni meilleur ni pire qu’un Louis XI ou un Henry VIII. Il eût gouverné, comme eux, en s’appuyant sur le peuple, j’entends sur les bourgeois et les marchands, car le véritable peuple, alors, ne comptait pas aux yeux des maîtres du monde. Il aurait travaillé à la concentration monarchique qu’on nous a appris au collège à admirer comme une évolution heureuse, ainsi que tous ceux qui en furent les rudes et égoïstes ouvriers. Mais Richard n’eut que deux années pour montrer ses aptitudes au métier de roi et, sauf une bonne loi sur laquelle sir Cléments Markham insiste longuement, il passa ses deux années à se débattre contre les séditions et les complots. C’est pourquoi il reste un Louis XI ou un Henry VIII, moins les talens politiques. Il n’est plus en vedette ; il rentre dans le rang ; il redevient un tyran comme les autres, et il est probable que l’Italie du XVe siècle pourrait fournir des rêveurs d’infamie et des artistes en scélératesse supérieurs à Richard, des méchans d’une méchanceté plus noire, plus savante et plus compliquée. Le génie du crime n’est plus qu’un criminel ordinaire, sans circonstances atténuantes, mais, surtout, sans cette auréole satanique, sans ces aveuglantes lueurs d’enfer dont Shakspeare avait si violemment éclairé ce masque terrifiant. Sir Cléments Markham a légèrement humanisé le monstre, mais il l’a dépoétisé, vulgarisé, il l’a diminué de quelques crimes, mais ne l’a point réhabilité.


AUGUSTIN FILON.