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de Moustier, Rouher, Nigra, de Rechberg, Fuad-Pacha et d’autres acteurs, plus ou moins importans, d’un drame en plusieurs actes qui, n’étant plus joué, semble cependant être encore sur l’affiche. Nul historien n’a mieux pénétré les secrets de la politique allemande, française ou russe. Nul, mieux que Klaczko, n’a dépeint les actes du Parlement de Francfort et du Congrès de Paris, le rôle de la Confédération germanique, l’humiliation d’Olmütz et la haine croissante de la Prusse contre l’Autriche, la rupture de l’entente franco-anglaise après l’annexion de la Savoie et les profits que la Russie en tira, l’habileté supérieure de Bismarck à Pétersbourg, à Paris et à Biarritz, ses succès prodigieux dans les terribles événemens qui suivirent, l’effondrement de l’Autriche, l’effarement de la France et ses douloureux revers retracés avec tant d’art et tant de vérité !… Que de considérations justes et éloquentes ! Que d’observations poignantes et originales ! Que de leçons, dont, maintenant encore, on pourrait tirer profit !

Klaczko a regretté que Gortchakof n’eût pas, comme il le pouvait, au mois d’octobre 1870, provoqué un concert européen pour amener la paix entre la France et l’Allemagne et régler les affaires si troublées du continent. La grande situation extérieure de la Russie à cette époque, sa sécurité intérieure, ses bonnes relations avec la Prusse semblaient lui assigner cette initiative. La volonté fermement exprimée des puissances eût alors suffi pour limiter les pertes de la France et pourvoir à ce que l’Allemagne reçût une organisation moins redoutable pour la paix de l’Europe. Et qui eût douté qu’après un tel service la Russie n’eût obtenu de l’Europe reconnaissante l’abrogation de tel ou tel article onéreux du traité de 1856 ? « Combien un pareil bienfait procuré à l’humanité par un gouvernement monarchique, voire absolu, eût donné de force à la cause de l’ordre et de la conservation, de rajeunissement au principe monarchique ! De quel prestige il eût entouré le peuple russe ! Quelle splendeur impérissable il eût attachée au nom d’Alexandre II ! L’appel du destin était bien manifeste, le rôle aussi indiqué que facile ; le successeur de Nesselrode s’y est dérobé. »

Gortchakof n’avait pas encore aperçu ce que lui avaient coûté ces dix années d’association avec son redoutable collègue. « N’est-ce donc rien que ce port de Kiel, la clef de la Baltique, livré aux mains des Allemands ? N’est-ce donc rien que le démembrement