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plus de fond, et l’autre avait perdu son dossier. Et, par politique, je donnai une gratification aux porteurs.

Restaient les hommes et la question du riz. Du village on ne pouvait rien réquisitionner. Les habitans ne devaient pas avoir de riz cuit, à cette heure tardive, le manikarin m’affirmait qu’on n’en trouverait pas un grain. Je me contentai de l’excuse et me portai, de ma personne, au fourneau en plein vent qu’entourait une douzaine de voituriers. Ils surveillaient la cuisson de leur riz, sans remords, et leurs pagnes ramenés sur la tête en guise de parapluie, échangeaient des propos. Par la voix de Cheick Iman dont la barbe et la bandoulière auraient suffi à les faire rentrer sous terre, si les pions de Tindivanam ne les eussent assez intimidés, je leur notifiai, en grande douceur, mon irrévocable décision. Les vindikarins allaient fixer leur prix. Une fois payés, ils livreraient une quantité suffisante de riz assaisonné à mon personnel, qui le recevrait dans ses récipiens. En cas de refus, mon pied, chaussé de cuir de vache, — chose terrible, — renverserait les marmites pleines, chantant côte à côte sur un feu de bois mouillé dont l’acre fumée était rabattue par la pluie. Mes yeux en pleuraient, tandis que j’attendais la réponse. Les pions anglais, pris à témoin, déclarèrent que ma résolution était équitable, ils adresseraient, en ce sens, leur rapport au Collecteur. Cheick Iman fut accusé par l’opinion publique, — mais le lendemain seulement, — d’avoir affirmé que j’étais généralement porté à distribuer aux gens des coups de fouet. Il tenait, d’ailleurs, mon fouet de chasse à la main, pour me faire honneur.

C’est pourquoi les vindikarins de Tindivanam, pour se voir menacés de partager le triste sort des gens qu’ils comptaient malicieusement affamer, transigèrent avec une bonne grâce d’occasion. Avec quelques francs, — car je ne marchandais pas un instant, — je pus nourrir ma suite, uniformément, malgré les différences subtiles que nos honnêtes toucheurs de bœufs avaient tenté d’établir. Ils n’avaient pas refusé de céder du riz aux musulmans, voire aux chrétiens, mais seulement aux parias. Et si peu nombreuse que fût mon escorte, elle présentait cette particularité de réunir quelques représentans des trois grands cultes observés par la majorité de l’humanité. De Brahma et de Mahomet, les enfans picoraient amicalement, pour l’heure, avec ceux du Nazaréen.