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traitement y tiennent sans doute avec une grande âpreté, mais ils ne tiennent pas moins à la conservation de leur mandat, car s’ils le perdaient, ils perdraient du même coup leur traitement et leur importance. Le malheur est qu’il semble difficile de tout conserver. On ne saurait s’y tromper, le pays a très mal accueilli la « réforme » des 15 000 francs : il lui en est resté comme un poids sur le cœur. La manière dont l’opération a été faite, ou plutôt escamotée, a produit sur lui l’effet le plus déplorable. La Chambre s’était bien doutée qu’il en serait ainsi ; mais elle avait espéré qu’en augmentant son indemnité tout au début de la législature, à la manière d’un ton de joyeux avènement, elle aurait quatre ans pour faire oublier ce premier geste au milieu des bienfaits dont elle ne manquerait pas de combler le pays. Sa confiance commence à se dissiper, d’abord parce qu’elle s’aperçoit qu’il est plus difficile qu’elle ne l’avait cru de faire le bonheur des autres après avoir assuré le sien, ensuite parce que le vote de ? 15 000 francs a causé une impression qui paraît devoir être aussi tenace qu’elle a été vive et profonde. La Chambre le sait maintenant, et, à défaut de remords, elle en éprouve une sorte de terreur intérieure qui ne lui laisse plus de repos. Aussi, lorsqu’on la touche à l’endroit sensible, elle se livre, comme on l’a vu l’autre jour, aux gesticulations les plus désordonnées. Cette affaire des 15 000 francs a été plus loin qu’on n’aurait pu le croire à l’origine : le souvenir en reste vivant et menaçant.

M. Sarrien est de ceux qui en ont le sentiment très net. M. Sarrien connaît la Chambre, mais il connaît aussi sa circonscription, et jugeant des autres d’après la sienne, il ne se fait aucune illusion sur ce que le pays pense des 15 000 francs. Comme il n’était pas là au moment du scrutin, on l’avait fait voter contre la proposition de M. Charles Benoist : il n’a pas manqué, le lendemain, de rectifier son vote à l’Officiel. Aussitôt la meute qui hurlait encore contre M. Benoist s’en est détournée pour se lancer contre lui. L’indignation du parti radical a été à son comble. Eh quoi ! M. Sarrien n’est-il pas le chef nominal du parti, et dès lors ne doit-il pas le suivre ? Un acte comme le sien n’est-il pas une désertion, une trahison ? Un parti peut-il conserver à sa tête un homme qui le désavoue dans le seul acte important qu’il ait accompli jusqu’à ce jour ? En l’espace de quelques minutes, M. Sarrien, qui était au Capitole, a été précipité de la roche tarpéienne. C’est une grande chute ! Tout le monde sait la situation prépondérante que M. Sarrien occupait dans la République : il lui a suffi de faire une fois acte d’indépendance pour la perdre.