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jeter le doute dans l’esprit de tous les habitans de quarante-huit Etats, habitués à confier leurs économies et leurs fonds de roulement aux banques, sur la solvabilité d’établissemens auxquels ils ont remis 60 milliards de francs de dépôts ? L’indomptable colonel des chevau-légers (rough riders) a dû reculer devant l’orage qu’il avait déchaîné. Il a dû sinon appeler à son aide, du moins encourager par son silence d’abord, par une approbation expresse ensuite, les financiers éminens qui se sont constitués en comité de salut public à New-York et qui, nuit et jour, sous la direction du plus éminent d’entre eux, M. Pierpont Morgan, ont été sur la brèche pour soutenir les uns et les autres, pour accumuler les moyens de trésorerie, pour importer d’Europe tout l’or que Paris, Londres, Berlin, Pétersbourg voulaient bien céder, pour donner en un mot l’aide de leurs capitaux et de leur expérience à tous ceux qui en avaient besoin. Au plus fort de la tourmente, à l’heure où la situation semblait presque désespérée, la corporation de l’acier, l’un des plus gigantesques trusts des Etats-Unis, a acheté, pour plus de 100 millions de francs, une entreprise rivale, le Tennessee Coal and Iron, dont les titres pesaient lourdement sur le marché, et a ainsi fortifié sa prépondérance : cette opération était tellement nécessaire que le président Roosevelt n’a pu élever la moindre objection contre elle, bien que l’agrandissement d’un trust semble évidemment contraire à sa politique. Il a dû adjurer le public d’avoir confiance dans les financiers, de reverser aux banques l’argent qu’il en avait retiré ; il s’est porté garant en quelque sorte de la solvabilité de ces établissemens. Pour faire rentrer dans les caisses de ceux-ci les dépôts que la panique leur avait enlevés, il a dû autoriser son ministre des Finances à procéder à des émissions de bons du Trésor : et cela, bien que la Confédération elle-même n’eût aucun besoin de ressources et regorgeât au contraire de milliards : mais ces milliards sont par elle remis aux banques ; et, pour en obtenir davantage encore, elle donne sa signature en gage aux acheteurs qui se dessaisissent de leur or et de leurs billets en échange d’une obligation fédérale.

Voilà donc à quoi la crise aboutit. Le président, parti en guerre contre des abus évidens, n’a pas mesuré la portée de ses armes et a dû se hâter de guérir par tous les moyens dont il disposait les blessures qu’il avait faites. Quels seront les événemens de demain ? Quelles améliorations seront apportées à la