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sourdement émerveillés s’ils avaient croisé dans la nuit le Vaisseau Fantôme. Rien n’est clair pour les Vermlandais.

Deux jours plus tard, le conducteur de notre traîneau nous racontait ses épouvantes d’autrefois. Là, sous ce pont que nous traversions, une nuit qu’il le traversait, l’eau s’était mise à bouillonner. Quelque chose de noir en avait jailli, dont il sentait encore le frôlement sur sa figure. Son cheval prit le mors aux dents, et lui, suspendu aux rênes, il se mourait d’effroi : « Pourtant, ajoutait-il, ce ne devait être qu’un canard sauvage ; mais, en ce temps-là, je ne conduisais jamais un traîneau, le soir, assis sur le siège de derrière, sans songer qu’une main mystérieuse allait peut-être m’agripper et me tirer par la pelisse. » Il s’agissait à peine de vingt ans. Les loups infestaient alors la nuit d’hiver, et, plus nombreuses que les loups, les apparitions. Notre homme n’osait pas regretter tout haut ce temps-là ; mais je devinais en lui, comme chez la plupart des Vermlandais, le goût farouche et raffiné de la peur. La peur est pour eux un excitant comme l’amour et l’ivresse. Point de province en Suède où l’on ait tant cherché les émotions fortes. On y cultivait la panique. C’est une manière de rompre l’enchantement de la forêt. L’esprit en soulève le poids et en déchire l’ombre par des explosions de rire, de violence et de terreur.

Je retrouve le front du Vermlandais dans tous les magnifiques coups de tête dont, à défaut d’initiative, le peuple suédois a ébranlé l’histoire. L’humour du Vermland a jeté ses fantasques lueurs à travers la poésie et même la folie de la Suède. Tegner est sorti des forêts du Vermland, Tegner mort fou. « Chaque fois que j’entends, dit Heidenstam, la Walkyrie à s’endormir dans son cercle de feu aux notes frêles comme d’un harmonica, je pense à l’évanouissement du génie de Tegner. » Le bizarre et génial Almqwist s’enivra de lui-même aux forêts du Vermland. « As-tu entendu, dit encore Heidenstam, la musique dont il accompagne ses vers, cette musique si maladroite et telle qu’il faut l’entendre plusieurs fois pour la comprendre ? Mais tu ne l’entendras jamais, dans la solitude, sans pleurer. » La forêt du Vermland a pesé sur Kroding qui n’a pas cinquante ans et qui agonise à Upsal dans un hospice d’aliénés. La fantaisie vermlandaise, plus légère que la dalécarlienne, a des ailes d’oiseau blessé et des sons de violon fêlé.

J’ai remonté le lac sinueux de Fryken. Les bois qui