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notre autorité et à notre merci. En Tunisie, nous n’avons pas commis l’imprudence d’incorporer au domaine les biens habous : nous nous contentons de surveiller leur gestion sans nous charger de l’entretien du clergé. Si nous avions agi de même en Algérie, nous aurions évité les difficultés avec lesquelles nous sommes aujourd’hui dans la nécessité de compter.

Toute question de droit ou d’équité mise à part, il reste que les traitemens payés par l’Etat français au clergé musulman et les subventions allouées aux mosquées étaient un lien entre la nation conquérante et le peuple conquis. Sans doute l’influence des muftis ou des imans salariés par nous est loin de s’étendre à la grande masse des indigènes ; mais, dans les villes, leur ascendant est réel : ils se recrutent dans la partie la plus éclairée, la plus instruite, de la population musulmane ; le traitement qui leur était payé était un moyen efficace de prouver les bonnes intentions et le respect de l’administration française envers la religion des indigènes. Voir dans les ministres du culte musulman salariés par nous des agens du gouvernement français, des instrumens de surveillance et de police politique, c’est rabaisser la question à de trop mesquines proportions ; l’administration a des moyens d’information et de coercition autrement efficaces que l’action d’un brave mufti, paisible fonctionnaire qui donne strictement à son service le temps nécessaire, ou d’un pauvre muezzin qui module sa complainte parmi le brouhaha des grandes villes. Mais il importe qu’en Algérie la France soit partout présente, qu’elle ne reste étrangère à aucune des manifestations de la vie indigène, que son action s’exerce sur tout, ouvertement, publiquement. On peut sourire des cérémonies franco-musulmanes, des échanges de complimens à l’orientale entre préfets et muftis le jour de la fête de l’Aïd-el-Kebir, ou des discours des sous-préfets aux inaugurations des mosquées. On peut même s’indigner, comme le font certains colons, de voir le gouvernement français construire des mosquées aux Arabes,… avec l’argent des Arabes. Mais il n’en est pas moins vrai que ce sont là des liens, des points de contact entre les deux races, et que ces points de contact sont menacés de disparaître. Les muftis, les imans, cessent d’être fonctionnaires français ; si restreinte que l’on suppose leur influence, elle était un élément de stabilité, de paix, un contrepoids à l’influence occulte des confréries et des marabouts. Le clergé musulman rétribué ne nous servait guère,