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et Arabes, et même entre Israélites. Ces conséquences déplorables, on les verra se manifester dès la mise en vigueur du décret du 27 septembre, c’est-à-dire dès l’année 1908 ; mais c’est plus tard seulement, à la longue, qu’elles se développeront dans toute leur ampleur. Les fautes politiques sont des erreurs d’aiguillage : on peut les prévenir, on peut encore s’arrêter au moment de faire fausse route, mais, une fois le train engagé dans la mauvaise voie, il faut subir l’une après l’autre, jusqu’à la dernière, toutes les inévitables conséquences. Ou bien, dans les années qui vont venir, en France comme en Algérie, le radicalisme jacobin ira s’usant par son succès même et perdra de sa virulence doctrinale, et alors une politique avant tout soucieuse des intérêts et de la grandeur de la France s’imposera et assurera d’abord la paix religieuse, amenant enfin cet apaisement des passions et des haines confessionnelles dont on nous avait promis qu’elle serait la suite naturelle de la séparation des Eglises et de l’Etat. Il sera facile alors, après l’échéance des dix ans, de trouver en Algérie un nouveau modus vivendi. Ou bien, au contraire, les luttes civiles, les haines politiques, religieuses, sociales iront s’envenimant et absorbant de plus en plus toutes nos énergies nationales, et alors, c’en sera fait de notre expansion et de notre puissance au dehors ; nous nous confinerons chez nous et, si l’on veut bien nous y laisser en paix, nous nous livrerons en vase clos à des expériences sociales et humanitaires. C’est le vœu de certains idéologues : peu leur importe que l’Algérie soit ou non française, car les colonies ne les intéressent que comme des champs d’expériences ethnographiques. Les doctrinaires politiques se défient en général des colonies, parce qu’ils savent que c’est elles, souvent, qui apportent aux théories les mieux échafaudées le correctif des réalités, et aux plus savantes formules le contrepoids des faits. C’est un enseignement de ce genre que l’Algérie, aujourd’hui, pourrait donner à la France.


RENE PINON.