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c’est à l’Arsenal que Nodier a composé tous ses contes. Il a compris alors que le fantastique doit être réservé aux fictions enfantines ; et sa veine de littérature maladive s’est changée en une agréable sentimentalité. Aux ressources du terroir il puise des traditions savoureuses ; à l’imagination étrangère il emprunte un nouveau personnel de lutins et de génies destiné à rajeunir celui qui, depuis le temps de Perrault, devenait un peu suranné, même pour un peuple de fées. Il fait courir, dans la trame de ses gracieux récits, une légère broderie de morale allégorique. Et il relève ses plus naïves narrations d’un ragoût d’humour, où la fantaisie de Sterne fait bon ménage avec la malice franc-comtoise… C’est le fantastique aimable d’où procèdent pareillement les Ballades de Hugo et toute la littérature de « chevalerie dorée et de joli moyen âge » raillée par Sainte-Beuve.

A partir de 1830, un autre romantisme commence, plus bruyant et violent, plus chaud de couleur et monté de ton, et aussi plus assuré dans ses prétentions, humanitaire, révolutionnaire et déclamatoire. Mais c’est que le patronage en a échappé à l’hôte de l’Arsenal, vieilli et dépassé. A Nodier se rattache un romantisme, dont il faut reculer la date jusqu’à 1800, le romantisme mélancolique, maladif, individualiste, mais d’ailleurs respectueux du passé, royaliste et chrétien, ami de l’histoire et surtout de la légende, partisan d’un art aux lignes imprécises, aux contours flottans, aux nuances vagues, à la fantaisie capricieuse, poétique plus que pittoresque, et lyrique plus qu’oratoire ou philosophique. Ces manières de sentir et d’écrire, Nodier, — qui n’est ni un précurseur ni un maître, — ne les a pas inventées et il n’a pas su davantage en donner l’expression définitive. Mais à mesure qu’il les voyait naître, il les accueillait et les signalait. Sans lui, Lamartine, Hugo, Mérimée, Musset, d’autres encore, auraient probablement été quand même tout ce qu’ils sont. Pourtant il n’est aucun d’eux qui n’ait une dette envers lui.


RENE DOUMIC.